ATELIER SUR LA TRANSFORMATION CURRICULAIRE : VERS LE LANCEMENT D’UN GRAND CHANTIER

« Quarante et un (41) ans après la Réforme Bernard, l’une des plus importantes qu’a failli connaitre le système éducatif haïtien (SEH). Failli, parce que malheureusement jamais vraiment mise en application. Ce dernier peine (SEH)toujours à préparer l’Homme Haïtien tel que présenté dans les finalités de cette réforme.  Fragilisé par de graves problèmes structurels et organisationnels, avec des ressources humaines et matérielles limitées, caractérisé par la mauvaise qualité et l’inégalité de l’accès à l’éducation, il est de plus en plus sous-performant et inefficace. Et, le développement socio-économique durable auquel il se prétend n’est pas pour demain.  La nécessité d’une transformation durable du système éducatif haïtien se révèle donc inéluctable. Et, la grande question de l’heure n’est plus sa pertinence mais plutôt sa mise en œuvre. »

C’est par ces mots que Madame Tatiana VILLEGAS, la représentante de l’Organisation des nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) en Haïti, a rappelé que le grand chantier de transformation curriculaire, lancé par le ministère de l’éducation nationale et de la formation professionnelle (MENFP) avec le soutien de ses partenaires internationaux et nationaux dont l’UNESCO, le bureau internationale de l’éducation (BIE), la banque interaméricaine de développement (BID), le partenariat mondial en éducation (PME), l’akademi Kreyòl Ayisyen (AKA), la faculté linguistique appliquée (FLA) de l’université d’état d’Haïti (UEH), du 10 au 14 avril 2023, à Karibe Hôtel et en ligne, s’inscrit dans la lignée des actions conduites autour des objectifs du plan décennal d’éducation et de formation (PDEF 2020- 2030), ainsi que des engagements de l’état haïtien envers l’objectif de développement durable (ODD 4), réitérés, au sommet mondial de l’éducation à New York en septembre 2022. Elle a également souligné, pour tous les acteurs impliqués, l’importance  de développer ensemble une compréhension de ce document cadre qu’est le curriculum, ses composantes et le processus de sa réforme ;  de définir les objectifs de l’étude diagnostiques et des questions de recherche auxquels les rapports d’état ne permettent pas de répondre ; de renforcer les compétences en matière d’analyse curriculaire ; d’établir la feuille de route de la réforme, de finaliser les plans de travail ; d’élaborer des outils pour la mise en œuvre de la réforme. Ceci dans le but d’avancer méthodiquement et sûrement dans l’implémentation de la réforme.

La première journée de cet atelier, avec plusieurs panels d’experts techniques et financiers, nationaux et internationaux, a permis de conduire une réflexion profonde sur le processus de changement transformationnel du système éducatif.

Le directeur du BIE, Monsieur Yao YDO, dans son intervention lue par Madame Amapola ALAMA, spécialiste du BIE, a renouvelé l’engagement de son organisme, pour mettre l’expertise du BIE au service de la réforme curriculaire de l’éducation en Haïti en lui fournissant l’accompagnement adéquat pour rendre le système éducatif haïtien équitable, accessible, performant, pertinent et résilient.  Pour cela, il a souligné l’importance des curricula adaptés au contexte local à travers des contenus respectueux de l’identité et de l’histoire du peuple notamment la langue d’enseignement et global tout en mettant l’emphase sur les compétences du 21e siècle.

Le Ministre de l’éducation nationale et de la formation professionnelle, Monsieur Nesmy MANIGAT, dans son allocution, a mis l’accent sur l’urgence de cette transformation curriculaire comme un élément prioritaire pouvant permettre au pays de renouer avec son histoire pour construire la Nation Haïtienne.  Pour se faire, il a souligné l’importance de cinq dimensions qui, selon lui devront être prise en compte dans cette réforme : la science, de la culture, de la géographie, de la reconnaissance des diplômes nationaux à l’étranger et l’adéquation du curriculum aux besoins du pays formant ainsi des citoyens, plus compétitifs, acteurs de développement communautaire, national, régional mais aussi mondial.

En outre, Madame Talia MIRANDA, représentante du PME, a entretenu l’auditoire sur les différents types de financement disponible pour cette Transformation du système éducatif haïtien ainsi que des étapes et conditions de décaissement de ceux-ci.  Selon elle, au total, le pays peut bénéficier jusqu’à 64 million de dollars l’an prochain pour l’implémentation de cette réforme.  Pour cela, le  gouvernement haïtien devra élaborer un Pacte de Partenariat qui sera  la feuille de route de la réforme. Le PME recommande de se servir de ce Pacte, comme cadre de référence regroupant notamment l’ensemble des dispositifs de soutien financier pour une meilleure coordination de ceux-ci et par conséquent un impact maximal sur la mise en œuvre de la réforme. De son côté, le PME aura à établir un calendrier précis pour développer ce pacte de partenariat qui  devra être bientôt communiqué à toutes les parties prenantes. Le développement du Pacte sera dirigé par le gouvernement haïtien soutenu par l’UNESCO selon un processus participatif et consultatif. Elle a souligné que les discussions menées au cours de l’atelier contribueront des pistes dans le développement du Pacte et que ce dernier devrait être finalisé dans les 4 à 6 prochains mois. Une fois le pacte finalisé, le gouvernement sélectionnera une organisation accréditée auprès du PME pour assister à la préparation d’une requête et soutenir la mise en œuvre de la réforme. Le PME espère recevoir la dite-requête autour de juin 2024 pour commencer la mise en œuvre de la réforme. Elle a également précisé que les fonds sont constitués de 3 types de subvention dont l’une nécessite un cofinancement pour être débloqué. C’est la subvention du multiplicateur. Cette dernière, selon elle, peut fournir jusqu’à 30 millions de dollars pour la réforme dépendamment des nouveaux fonds provenant des partenaires externes. Pour chaque dollar mobilisé par un donateur traditionnel, le PME ajoutera 3 dollars tandis que pour chaque dollar mobilisé par une fondation ou un partenaire du secteur privé le PME ajoutera 1 dollar. Ce jusqu’à atteindre les 30 millions précités. Elle invite ceux et celles qui sont en mesure de contribuer au cofinancement de la réforme ou qui connaissent des partenaires susceptibles de le faire, de contacter le PME afin de collecter le maximum de fond pour la réforme.

De plus, Monsieur Operti RENATO, expert de l’UNESCO- BIE, est revenu sur le rôle de la transformation du curriculum qui est de renouveler les objectifs de l’éducation et par voie de conséquence les compétences des apprenants pour transformer et adapter l’éducation aux défis de la 4e révolution industrielle et parvenir ainsi à un avenir plus juste, plus durable, démocratique, inclusif et pacifique. Dans son message, il a également présenté le cadre de référence conceptuel du BIE pour penser la transformation curriculaire.  Selon celui-ci, la compréhension culturelle, philosophique, anthropologique, sociologique des besoins et aspirations de la société constitue le point de départ de toute transformation curriculaire et non les contenus ou les plans d’étude qui ne sont que la résultante de cette compréhension. Viennent ensuite la lutte pour compenser les facteurs de vulnérabilité des apprenants ; le renforcement des relations école -famille-communauté ; l’approfondissement de l’éducation locale ; la vision intégrale de la personne ; la promotion des valeurs sociales et de la diversité ; la valorisation de la liberté de l’apprenant et de l’éducateur ; la conjonction de l’enseignement en présentiel et à distance et l’empathie pour les éducateurs.

Madame ALAMA, a présenté, entre autres, une série d’actions de l’UNESCO-BIE sur une période de 3 années entre 2023-2025 pour accompagner le pays dans la mise en œuvre du PDEF 2020-2030. Cet accompagnement s’articule en 3 composantes : le diagnostic exhaustif de la situation curriculaire actuelle du pays, la feuille de route pour la mise en œuvre du processus de réforme, le renforcement des capacités des agents de la chaine curriculaire. Elle a aussi mis en avant les étapes clés de cette transformation curriculaire systémique : 1) la vision donné par le COC ; 2) la planification pour identifier les besoins, trouver les fonds, développer les textes officiels pour l’encadrer,  mettre en place une cellule curriculaire et des équipes ou commissions spécialisées; 3) l’élaboration pour former les équipes responsables dans une perspective systémique, développer les documents indispensables aux activités pédagogiques  ainsi que le protocole de leur expérimentation avant leur généralisation ; 4) l’expérimentation pour tester les outils dans un environnement contrôlé pour en évaluer les forces et les faiblesses ; 5) la généralisation pour éditer, distribuer le matériel testé, stabilisé et validé à grande échelle, élaborer des politiques et dispositifs d’évaluation des apprentissages, rédiger des stratégies de formation pour l’ensemble du personnel éducatif, mettre en œuvre le curriculum  et 6) l’évaluation pour déterminer dans quelle mesure les objectifs initiaux sont atteints et prendre des décisions informées pour apporter les ajustements et innovations requises. Tout ceci encadré par des mécanismes dynamiques de coordination et de suivi pour une régulation constante du processus de la réforme pour rendre cette dernière efficace, alignée et cohérente.

Monsieur Khadim SYLLA, Spécialiste en éducation à l’UNESCO, a fait ressortir la centralité de la vision, élément structurant du curriculum.  Il  a mis en évidence quelques caractéristiques qui lui confèrent une dimension plus opératoire pour sortir de sa compréhension actuelle qu’il juge abstraite et inopérante.  Car, en éducation, la vision est associée et renvoie à la stratégie, d’où le concept de vision stratégique. De manière générale, dans le curriculum haïtien actuel, elle est présentée comme les aspirations de l’état pour former des individus socialement et professionnellement épanouis pouvant contribuer efficacement au bien-être collectif. Elle revêt ainsi donc une double dimension individuelle et collective. Cependant, telle qu’exprimée, elle est assez désincarnée et ne permet pas de dresser le profil prototypique de l’Être haïtien du 21e siècle. Etre qui est avant tout le produit d’une histoire, d’une culture, d’une géographie et d’un environnement économique et social en pleine mutation. Elle doit donc tirer ses racines du passé en tenant compte des réalités présentes pour se projeter dans le futur. Cela suppose une exploration de l’histoire sans économie de réflexion sur les héritages du passé.  Dans le cas d’Haïti, elle doit se nourrir tant des bénéfices psychologiques apporté par la gloire de 1804 que des traumatismes historiques notamment ceux de l’esclavage qui inhibent la confiance en soi et l’estime de soi. Car, celles-ci considérées comme des éléments clés de l’esprit d’initiative et de la créativité sont, toutes deux, des leviers de transformation des sociétés. La vision de l’éducation ne peut alors faire fi des facteurs pouvant l’entraver. Elle doit permettre aux citoyens de vivre avec son passé, de prendre en charge certains traumatismes pour développer sa résilience et restaurer la confiance en soi du peuple.  Dans le contexte haïtien marqué par des décennies d’instabilité politique, de troubles sociaux, de crises économiques, de catastrophes naturelles, d’inégalités, les doutes en l’avenir ont fini par s’installer dans le conscient collectif… La restauration de la confiance en soi qui passe par l’estime de soi et l’instauration de l’égalité des chances doit revêtir une dimension transversale et doit être analysée dans les politiques éducatives. La vision doit aussi avoir une portée géographique et économique qui permet d’anticiper sur l’évolution de l’économie nationale, les relations diplomatiques. Toutes ses considérations ont des incidences sur les langues d’enseignement, les politiques de formation professionnelle et technique, bref, les différents dispositifs et ressources d’apprentissage à mettre en place pour répondre au besoin de la société. Car le curriculum n’est autre que la matérialisation, l’expression opératoire de la vision. Il est primordial qu’elle soit bien comprise et cernée puisque c’est d’elle dont découle l’ensemble de l’enseignement séquencé selon le niveau.

La directrice du curriculum et de la qualité (DCQ), Madame Marjorie TELUSMA, a présenté le Comité Technique de Pilotage du Projet de Soutien du Bureau International d’Éducation à la mise en œuvre de la Réforme curriculaire formalisé au cours d’une mission de planification à Genève les 22, 23 et 26 septembre 2022 et institué le 6 février 2023 par décision ministérielle. Ayant comme principale mission la facilitation de la mise en œuvre et du suivi de la réforme. Ce comité a pour responsabilité d’inscrire la Réforme curriculaire dans la durabilité en institutionnalisant la   démarche tout en la liant aux autres initiatives du MENFP en matière de curriculum dans une vision partagée par toutes les forces vives de la société en général et par la communauté éducative en particulier.

Monsieur Renaud GOVAIN, Recteur de la FLA de l’UEH, a mis l’accent sur la nécessité de l’inculturation holistique de l’éducation en Haïti pour une transformation efficiente du système éducatif.

C’est au Professeur Guy Serge POMPILUS qu’est revenue la tâche d’en dessiner les grandes lignes de la reforme de Joseph C. BERNARD (1979). Ce dernier, ancien titulaire du ministère de l’Éducation nationale à l’époque, a initié l’une des réformes les plus importantes et complètes du système éducatif du pays.  Et celle-ci ne pouvait être passée sous silence lors de cet atelier sur la Transformation du Système Éducatif Haïtien à travers la Réforme curriculaire. Dans son intervention, le Professeur a présenté les prémices de cette réforme qui se voulait d’offrir les mêmes chances à tous, de prendre en compte le rythme d’apprentissage, d’utiliser le créole comme langue d’enseignement, de lier ce qui s’apprend à l’école à l’environnement social et économique de l’élève afin de lui permettre de participer de façon consciente, responsable, compétente et productive à la vie de sa communauté comme citoyen. Il a également mis en évidence, certaines innovations pédagogiques de la réforme :  à savoir  la réorganisation de la structure de l’enseignement en mettant en place l’école fondamentale de 10 ans composée de 3 cycles : le 1e de 4 ans, le 2nd de 2 ans et le 3e de 3 ans;  l’utilisation de nouvelles méthodes; le passage automatique à 2 niveaux : 1e– 2e AF, 3e– 4e AF, 5e– 6e AF ;  la modification des méthodes et stratégie d’évaluation; l’orientation en fin de second et de troisième cycle; la redéfinition de  l’enseignement du secondaire; la mise en place d’un dispositif de pré apprentissage ; l’introduit de l’apprenant au monde en partant de sa réalité locale; l’élaboration de matériels didactiques adaptés. Tout ceci, non sans la formation de tous les acteurs de la communauté éducative : enseignants, inspecteurs, directeurs ainsi que la création de dispositifs de formation spécifiques tels l’IPN, le CPR et les Écoles Normales. Selon le Professeur POMPILUS, cette réforme, très en avance sur son temps, est apparue dans un écosystème hostile. En effet, elle était en contradiction avec l’idéologie dominante, élitiste, de l’époque. Car, elle bousculait l’exclusion historique qui a toujours sévit dans le pays. Ajouté à cela, l’éternelle conjoncture d’instabilité politique et la question du financement et de la dépendance lui étaient des plus défavorables.  Dans sa conclusion, le professeur a relevé quelques leçons importantes à tirer de cette expérience pour les réformes futures en soulignant le rôle primordial de la communication permanente, de l’alignement du pédagogique, de l’administratif et du politique, de la codification de réforme par un texte de loi, de la mise en place de dispositifs institutionnels pour penser la pédagogie au quotidien, pour favoriser la concertation des parties prenantes et gérer le changement.

CLIQUEZ SUR LA VIDÉO CI-DESSOUS POUR VIVRE CETTE PREMIÈRE JOURNÉE DE L’ATELIER SUR LA TRANSFORMATION DU CURRICULUM HAITIEN

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