Ralphson Pierre : Bonjour Jacques Yvon, vous n’avez jamais caché de parler de l’influence du modèle Initiative francophone pour la formation à distance (IFADEM) sur le parcours professionnel de l’Education que vous êtes. Dites-nous de quoi en est-il ?
Il n’y a rien à cacher. Mon expérience avec IFADEM a été déterminante dans mes choix en faveur de l’intégration des TIC dans l’éducation partout où je suis appelé à apporter une contribution dans ce domaine. Les réponses vives que je donne à certaines réticences qui n’osent pas dire leur nom me viennent de cette expérience heureuse. J’ai mis d’abord mon nez à la sauce de la pédagogie de la formation à distance, et ensuite j’y ai goûté ; et, comme dit le vieux proverbe de chez nous « zonbi goute sèl, li pa mande rete ». La plus grande leçon que j’ai apprise de l’Initiative (c’est ainsi que nous nommions IFADEM) est la gestion du changement pour passer du présentiel à la formation à distance. L’interaction dans le présentiel est essentiellement transmissive et directe entre l’enseignant (e) et les enseignés.es. Et, c’est la voie la plus traditionnelle de l’éducation et de l’apprentissage. J’aime souvent souligner qu’entre cette voie traditionnelle et la formation ouverte et à distance, il ne s’agit pas seulement d’une question d’équipements. Il est aussi et surtout question de changements de méthodes pédagogiques. Et ce qu’il faut surtout comprendre est qu’entre le face à face ou la formation en présentiel et l’enseignement à distance ou distanciel, il existe une large gamme d’approches pédagogiques. Et cette nuance-là, toutes les personnes qui constituaient avec moi cette grande famille, l’ont tirée de l’Initiative.
Ralphson Pierre : La formation à distance n’a pas commencé avec les TIC. C’est ce que vous soutenez toujours, en tout premier lieu, quand des gens qui s’y opposent, mettent en avant des problèmes de toutes sortes comme freins…
Jacques Yvon Pierre : Oui. Je rappelle toujours – et je l’assume – que l’introduction des technologies dans l’action pédagogique a démarré depuis la première génération des cours par correspondance commencée dans les années 1840. Bien avant les technologies actuelles des médias interactifs et d’Internet. Ce qui est à prendre en compte et c’est ce que je dis toujours, que les technologies actuelles amènent des transformations profondes des activités pédagogiques aussi bien du côté des enseignants.es que des apprenants.es qu’on ne saurait ne pas prendre en compte.
Je comprends les discours nuancés qui mettent l’accent sur des problèmes réels en rapport à la connectivité, aux infrastructures, aux matériels et à l’énergie électrique. Par contre, je décèle plusieurs groupes de personnes qui tiennent un discours ne résistant à aucune analyse sérieuse :
- Il y a ceux et celles qui ont peur justement de la contribution des TIC au service de l’apprentissage et qui y résistent à leur manière
- Il y a ceux et celles qui découvrent seulement aujourd’hui les théories d’inégalités sociales expliquant comment le système s’y prend pour transformer les inégalités sociales en inégalités scolaires. Ces théories des années 70 de Bourdieu et Passeron sont encore actuelles. Mais, il importe d’éviter de sombrer dans le sociologisme !
Ralphson Pierre : Vous voulez donc dire que toutes ces bonnes personnes semblent oublier que la première génération des cours à distance a commencé avec les cours par correspondance (voie postale) dès le 19èmesiècle. C’est-à-dire, cette période est en lien avec l’apparition du timbre qui a permis de garantir un système d’envoi efficace des documents du point A au point B ou l’inverse.
Jacques Yvon Pierre : Tout à fait. Au fil du temps, les personnes inscrites aux formations dites « par correspondance » recevaient, outre des documents en version papiers, mais aussi supports audio-audio-visuels (cassettes et/ou vidéo) indispensables à leur formation. Cette personne, en situation d’apprentissage, devait réaliser des exercices chez elle et les envoyer à son organisme de formation pour correction.
L’enseignement à distance ne date pas d’aujourd’hui. Les mordus de l’histoire ancienne pourraient citer de nombreux exemples en ce sens tirés des lettres de Saint Paul ou de Madame de Sévigné à sa fille… Je ne dispose pas trop de données pour en parler. Mais, il y a de traces qui témoignent de la longue histoire de la FAD. Jusqu’ici, nous parlons de FAD et non de FOAD. Lorsqu’on parle de Formation à distance (FAD), on fait référence à une situation de formation structurée, suivant une certaine progression pédagogique et qui se déroule entièrement à distance. Et ce, peu importe qu’on ait recours aux TIC ou NON. Tout cela pour faire valoir que la FAD devance de plusieurs décennies l’avènement de la société de l’information. Les innovations issues des technologies de l’information et de la communication (TIC) ont créé de nouvelles possibilités qui ont permis de toucher de nouveaux apprenants.es.
Ralphson Pierre : Autrement dit, le « O » qui permet de passer de la FAD à la FOAD renvoie, selon vous, aux possibilités offertes par les TIC pour adapter les cursus de formation aux différents besoins des apprenants. Peut-on dire que les dispositifs de FOAD ne se contentent pas d’offrir des parcours standardisés ? On voit bien que l’offre de formation tient compte davantage des besoins des apprenants.es : son parcours scolaire, son expérience, ses contraintes voire son degré d’autonomie etc. Alors, existe-t-il un point de repère ou de rencontre pour parler de la FAD ou de la FOAD ?
Jacques Yvon Pierre : Vous avez tout dit, il me semble. On ne peut pas effectivement dissocier la FOAD de la révolution des Technologies de l’Information et de la Communication (TIC). Ce sont les TIC qui ont permis à la FAD d’évoluer, de s’améliorer, de se développer pédagogiquement pour devenir la FOAD.
Tout cela s’est passé dans les années 1990 : les TIC ont brisé les barrières de temps et de lieux et ont accéléré et ont amené le « O » » entre les deux lettres « FA » » et la lettre « O » pour donner le jour à La Formation Ouverte à Distance (FOAD). C’est important de le souligner que la notion d’ouverture de la formation traduit l’intérêt à satisfaire le besoin de personnaliser les formations. Avec la FOAD, il est question d’adapter les cursus de formation aux différents besoins des apprenants. Il n’est plus question de proposer à l’apprenant des parcours standardisés mais plutôt d’adapter l’offre de formation aux spécificités de l’apprenant (son parcours scolaire, ses besoins, son expérience, ses contraintes, son degré d’autonomie, etc).
Ralphson Pierre : Vous touchez là un point important sur lequel j’aimerais qu’on insiste davantage : non seulement, la FOAD renvoie à un dispositif de formation individualisée doté d’une grande flexibilité et accessibilité rendant ainsi son accès libre, lui permettant de prendre en compte la singularité des individus comme vous le soulignez. Mais, quel est le lien existant entre FOAD et la formation en présentiel. Peut-on parler de richesse ou de nouveau souffle aux dispositifs de formation traditionnelle ?
Jacques Yvon Pierre : Ah oui ! Ça me ramène à l’époque des faux débats en Haïti autour de la mise en place d’une plateforme de ressources pédagogiques dénommée PRATIC appelée à aider les élèves à réviser leurs cours en mobilisant le support papier, la radio, la télévision, les téléphones, les tablettes…J’ai vu des personnes, sans respect pour le bon sens des uns et des autres, se livrer à des gymnastiques intellectuelles les plus sordides pour amener les théories qui expliquent la transformation des inégalités sociales en inégalités scolaires dans leur sauce de la déraison. Au regard des arguments tenus, on a vite compris que les moins avertis réduisaient les TIC aux ordinateurs connectés à internet. On s’est mis à expliquer que les TIC font référence à la gamme de technologies et d’outils utilisés pour créer, recueillir et communiquer des informations et des connaissances. Les TIC sont utilisées dans la vie courante pour préparer des documents, discuter par téléphone, écouter la radio, regarder la télévision, et pour nombre d’autres activités quotidiennes. Certaines TIC n’impliquent qu’une communication à sens unique, alors que d’autres facilitent une communication à double sens. Certaines mettent en œuvre un seul médium (par exemple le téléphone) quand d’autres en mettent plusieurs en jeu (l’ordinateur ou la télévision). Mais, il fallait répondre à un deuxième groupe qui paraissait plus averti mais qui refusait de comprendre qu’une plateforme de ressources didactiques qui n’était nullement conçue avec la prétention de remplacer les cours en présentiel.
Peine perdue ! On a beau fait valoir la logique du e-learning comme terme générique faisant référence à l’utilisation de tout dispositif ou médium numérique (multimédia) pour l’enseignement et l’apprentissage, en particulier pour dispenser du contenu ou y accéder. On a beau expliquer que la FAD peut ainsi avoir lieu même en l’absence de connexion à un réseau ou de connectivité. Le dispositif numérique utilisé par l’apprenant pour accéder aux supports n’a pas besoin d’être connecté à un réseau numérique, qu’il s’agisse d’un réseau local ou d’Internet. D’autres se mettaient à dénoncer le fait que certaines ressources utilisées par la plateforme n’étaient pas produites par l’équipe haïtienne. Avait-on besoin de rappeler que ces ressources mises à profit de la communauté éducative par cette plateforme font partie de ce qu’on appelle des Ressources éducatives libres (REL) qui sont publiées en licence libre et disponibles sans aucun paiement de redevance ou de frais de licence ?
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Dialogue entre Pierre :
Jacques Yvon Pierre
Ralphson Pierre
Source: https://omniscientinfo.com/quand-ralphson-pierre-interroge-jacques-yvon-pierre-a-propos-des-concepts-essentiels-de-la-formation-ouverte-et-a-distance-en-haiti/