Ce concept développé en Amérique Latine à partir des années 60 évoque des structures mises en place par les autorités pour faire face au besoin de production d’une main d’œuvre qualifiée en dehors du système formel de l’Education. Ceci a influencé les institutions de formation professionnelle de la Région de se doter d’une structure à gestion tripartite où l’Etat, gère de concert avec les autres partenaires sociaux (les syndicats et le patronat) des programmes de formation orientés vers les besoins du marché du travail.
Du point de vue légal et règlementaire, la principale législation haïtienne traitant de la formation technique et professionnelle remonte à l’année 1973, avec la création de l’Institut National de Formation Professionnelle (INFP) et du Centre Pilote de Formation Professionnelle (CPFP) par décret du 9 octobre 1973. Ce décret attribue à l’INFP le mandat de coordonner et d’animer des activités de formation professionnelle et de formation continue et d’assister les entreprises dans l’amélioration de leur productivité, tandis que le CPFP est chargé de réaliser des tâches de formation et de participer conjointement avec l’INFP à la formation et au perfectionnement d’instructeurs, au développement de programmes de formation et de matériels didactiques appropriés, à l’organisation des stages de formation et d’actualisation.
Dotés de l’autonomie financière et administrative, ces deux établissements étaient gérés par un Conseil d’Administration Tripartite composé de représentants de l’Etat, des Travailleurs et du Patronat. Durant la première décennie de fonctionnement, des centaines de techniciens qualifiés constituaient une première génération de cadres formés dans plusieurs spécialités industrielles. De plus, par leur expertise, ils ont fourni une assistance technique non négligeable à un grand nombre d’entreprises d’alors.
Avec le programme d’ajustement structurel du FMI, l’autonomie financière se perdait et par rationalisation extrême des dépenses, le déclin du secteur de la formation professionnelle s‘amorçait dès 1982. Le ministère de l’Education Nationale dût prendre alors le relais du financement du secteur par dotation budgétaire. Le décret du 23 octobre 1984 réorganisant la structure du MENJS supprima la direction de l’enseignement technique et professionnelle et transforma l’INFP en une direction centrale techniquement déconcentrée du ministère avec la mission de mettre en œuvre le système national de formation professionnelle (SNFP). Ce qui eût pour effet de transférer sous la tutelle de l’INFP le Centre pilote de formation professionnelle, l’ensemble des écoles professionnelles et un nombre indéterminé de centres ménagers. Le décret du 14 mars 1985, quant à lui, marque une étape importante exprimant la volonté du gouvernement d’établir une politique nationale de formation
professionnelle. Il définit les objectifs, le mode d’organisation et de fonctionnement des centres de formation professionnelle. Il cherche à limiter les effets de la disparition du conseil d’administration tripartite par un Conseil d’Orientation des Politiques et Programmes à caractère consultatif; il ajoute à la nomenclature existante un nouveau type d’établissement, le centre de formation professionnelle dont les objectifs et l’organisation prévoient des cheminements plus flexibles pour assurer la formation initiale des jeunes et la formation continue des adultes ; il précise la mission de l’INFP et lui confie des attributions suffisantes pour assurer le pilotage du système de formation professionnelle. Pilotage délicat certes, puisqu’en raison de contraintes majeures, les mesures adéquates pour la mise en œuvre systématique du SNFP n’ont pu atteindre leur objectif.
Plus près de nous encore, en 2011, sur la base des recommandations du Plan Opérationnel de Revalorisation du Système Educatif 2010-2015, la nomination d’un Secrétaire d’Etat à la Formation Professionnelle apporta une certaine impulsion au secteur et marqua la volonté du gouvernement d’accorder la priorité au renforcement du pilotage dudit secteur. Mais le statu quo demeure, car toujours est-il que le SNFP attend encore d’être mis en place en adéquation avec le milieu productif ; néanmoins il faut admettre que sous ce leadership nouveau, des travaux pour l’élaboration d’un document de politique sectorielle ont été lancés.
Imbu de ce constat, n’est-il pas permis de dire haut et fort qu’aujourd’hui encore, en Haïti le concept de Système national de formation professionnelle demeure une fiction, à cause de la fragmentation des structures de gouvernance et de gestion de la formation professionnelle. Depuis plus d’une décennie, en dépit de timides efforts de régulation, la Gouvernance du secteur est éclatée et la fonction dévolue au ministère de l’Education et de la Formation professionnelle pour l’élaboration des curriculums et la certification des compétences devient l’apanage de plusieurs entités du même Etat. On en veut pour preuve l’implication, en plus de l’INFP qui dépend du ministère de l’Education, de plusieurs autres ministères ou secrétaireries d’Etat dans ce secteur, sans plan d’ensemble, sans directives arrêtées et surtout sans coordination aucune.
On peut citer entre autres :
Le ministère du Tourisme et des Industries Créatives s’impliquant dans la gestion directe des établissements offrant des formations dans les métiers de l’hôtellerie et du tourisme.
Le ministère de l’Agriculture, des ressources naturelles et du développement rural, en charge d’un réseau des écoles moyennes de formation agricole.
Le ministère des Affaires Sociales, qui assure la supervision, l’accréditation et la certification de programmes offerts par des établissements privés à l’échelle du pays.
Le ministère de la Jeunesse, des Sports et de l’Action civique, qui s’occupe aussi de
la formation professionnelle de jeunes dans un large spectre de métiers.
Le ministère de la Santé publique et de la Population qui accrédite et supervise les établissements de formation professionnelle dans les métiers de la santé (en particulier les programmes de formation en technologie médicale).
la Secrétairerie d’Etat à l’Alphabétisation (rattachée au MENFP) qui dans le cadre de sa mission d’éducation non formelle exécute aussi des programmes de formation de ce niveau.
A ce tableau, il faut ajouter l’implication de certains autres ministères ou instances étatiques dans des actions de formation professionnelle orientées vers un public varié. On peut citer le ministère à la Condition Féminine, le ministère du Commerce, etc.
Finalement, il faut faire allusion aussi au même ministère de l’Education, qui gère
pour sa part un réseau de centres d’économie familiale éparpillés sur le territoire.
Si elles existent, quelles sont les contraintes réelles qui empêchent ici l’établissement d’un véritable système national de formation professionnelle comme partout ailleurs ? Entre autres, on serait tenté d’avancer que ces contraintes sont d’ordre : financier, politique, socio-économique, juridique, organisationnel ou structurel, culturel, etc. Dans les pays voisins, leur système de FTP constitue un puissant vecteur pour le développement socio-économique du pays et joue un rôle prépondérable dans leur économie nationale ; c’est le cas par exemple de la Dominicaine, la Colombie, le Brésil, l’Allemagne, pour ne citer que cela. Un système national de formation professionnelle performant doit prendre en compte la dimension entre la Formation Professionnelle et l’Enseignement Technique. Il doit aussi se doter d’un Répertoire des Métiers et Professions, d’un Cadre National de Qualifications, d’un Cadre National de Certification, d’un Cadre Règlementaire normatif pour le fonctionnement du secteur, d’un mécanisme de Gestion permettant la participation active du secteur de l’Emploi et finalement de mécanismes de Financement adéquat et suffisant pour son évolution.
Pour conclure, on sait qu’un projet de Loi portant sur la Réforme de la formation professionnelle attend le vote du Parlement. Peut-être verra-t-on finalement la mise en place effective d’un SNFP qui serait une plateforme pour la valorisation des compétences pour l’emploi, la standardisation et la reconnaissance des formations et certifications délivrées dans le système, l’amélioration de l’accès et de la qualité de la formation, la définition d’une offre de formation en adéquation avec les besoins réels du marché de l’emploi, la promotion de la formation continue des travailleurs de toutes catégories et finalement la mise en œuvre d’un programme de validation des acquis de l’expérience, tout cela en accord avec les ministères sectoriels impliqués, les principaux acteurs et partenaires du SNFP. Alors seulement, Haïti se dotera d’outils de contrôle d’informations fiables qui lui permettront de se positionner dans la région pour être compétitif par rapport aux voisins caraibéens ou latino-américains et se mettre en chantier pour devenir un pays émergent.
(Sources combinées, PNEF, GTEF, analyses de l’auteur)
- GABAUD
Mai 2015