En Haïti la majorité des enfants arrivent à l’école sans connaître la langue d’enseignement. Cela constitue un problème majeur pour leur avenir intellectuel et éloigne les parents dans la vie de l’école. Les enfants doivent tout le temps déchiffrer ce qui leur est enseigné dans une langue inconnue. La majorité des élèves n’est jamais confrontée à cette langue en dehors du système éducatif. On peut comprendre rapidement que cette situation pourrait évidemment contribuer à la mauvaise qualité de l’éducation, à la faiblesse du système éducatif, à augmenter les taux de redoublement, d’échec et de décrochage scolaire…
C’est pour pallier ce grand mal, entre autres, que le ministre Joseph C. Bernard a entrepris la réforme de 1979 qui, dans son aspect linguistique, a introduit le créole, la langue de tous les Haïtiens, dans le système éducatif. Il estimait, selon les réalités de fonctionnement du système éducatif, que le créole comme langue d’enseignement durant les quatre premières années du fondamental et dans une population de 100 % de créolophones pourrait faciliter la réussite scolaire, réduire considérablement les taux de redoublement, d’échec et de décrochage et favoriser l’implication des parents dans la vie active de l’école.
Si on veut améliorer la qualité de l’éducation en Haïti, il est indispensable de continuer à concevoir des politiques linguistiques tenant compte de la réalité incontournable du pays, dont celle linguistique en particulier. C’est également un élément crucial dans le renforcement de l’aspect inclusif de l’éducation et pour la défense du droit linguistique et à l’éducation pour tous.
Le fait de ne pas utiliser la langue maternelle à l’école peut nuire au potentiel des enfants, avec à la clé l’échec scolaire, le décrochage et l’absence de développement. Banque mondial (2005) le soulignait dans une étude:
“Cinquante pour cent des enfants non scolarisés dans le monde appartient à des communautés où la langue de l’enfant est rarement, voire jamais, utilisée à l’école. Cela signifie le premier défi à relever pour réaliser l’Éducation pour tous EPT: un héritage de pratiques improductives qui se traduisent par des niveaux de résultats insatisfaisants et des taux élevés de décrochage et de redoublement”.
UNESCO encourage l’enseignement en langue maternelle au primaire depuis 1953. Des recherches ont démontré l’efficacité du modèle d’enseignement multilingue fondé sur la langue maternelle pour les enfants marginalisés (Benson et Kasonen, 2013; Yiakoumetti, 2012).
Sur le plan juridique, c’est la loi du 18 septembre 1979, institutionnalisant la réforme Bernard, qui établit explicitement le statut du créole comme langue et objet d’enseignement. Les deux langues: créole et français allaient être reconnues comme langues officielles par la constitution de 1987 en son article 5. Cette même constitution institue dans son article 40 l’obligation pour l’État de diffuser dans les deux langues officielles du pays ses “lois, arrêtés, décrets, accords internationaux, traités, conventions…”
Dans son discours du 20 mai 1979, Joseph C. Bernard, alors ministre de l’Éducation nationale déclarait :“Notre langue nationale, le créole, devient instrument et objet d’enseignement au cours des quatre années du fondamental”. C’est une mesure adoptée afin de réparer cette injustice subie par les enfants privés de leur droit d’apprendre dans leur langue maternelle, d’autant plus que l’usage unique du français à ce niveau était l’une des causes de la déperdition scolaire.
Le groupe de travail sur l’éducation et la formation (GTEF) (2010), dans ses recommandations disait ceci:
“Favoriser l’apprentissage de l’élève dans sa langue maternelle tout en assumant le bilinguisme adopté dans la Constitution. Les études et expérience établissent que l’écolier apprend mieux et plus rapidement dans sa langue maternelle. Le manque de clarté dans les politiques, les hésitations de l’État dans la mise en œuvre de ces politiques, le déficit en quantité et en qualité des matériels de supports aux apprentissages disponibles en créole, les lacunes dans le programmes de formation des maîtres et l’absence d’une politique de communication à l’endroit des parents et du public en général ont constitué des freins à la concrétisation du projet de bilinguisme assumé par la Constitution du pays”.
GTEF souhaite que le système éducatif privilégie le créole comme langue d’apprentissage dans les deux premiers cycles de l’École fondamentale et l’élève soit fonctionnel dans les deux langues officielles à la fin du deuxième cycle fondamental.
Des recherches prouvent que les élèves apprennent plus vite à lire et à acquérir des nouvelles connaissances lorsqu’ils ont reçu un premier enseignement dans leur langue maternelle. Ils apprennent également plus rapidement une seconde langue que ceux qui ont d’abord appris à lire dans une langue qui ne leur était pas familière (UNICEF, 1999:41).
Le français comme langue unique d’enseignement constitue une entrave à la scolarisation en Haïti (Morose (1970, p.12); Wiesler (1978, p.71); Dupoux-Benjamin (1972); Carmant (1979); Price-Mars (1971).
Déjà sous Pétion, on avait reconnu que l’utilisation du français comme langue d’enseignement était inappropriée et on avait proposé l’utilisation du créole dans l’enseignement (Brutus (1948, p. 62); Jaume (1951) et Paul (1965). Ils ont proposé une éducation de base en utilisant le créole comme langue d’enseignement.
Somme toute, proposer une littéracie/littératie en langue maternelle au sein du système éducatif haïtien n’est pas l’affaire du ministre Nesmy MANIGAT. Cependant il convient de reconnaître qu’après le ministre initiateur de la réforme, il paraît le ministre le plus courageux à vouloir faire appliquer cette mesure qui ne serait pas trop bien vue de la population qui se montre très amoureuse du français, mais qui est capitale pour l’avenir du système éducatif. Nous devons arrêter de faire de la science à travers nos idéologies.
Jean Marc GOVAIN
Inspecteur Conseiller pédagogique
BDS de Paillant/Nippes