Fonds National d’Éducation (FNE) : Relations conseil d’administration et direction générale

Par Georges Bernadin 30 septembre 2024

Dans une perspective théorique, les relations entre les conseils d’administration (CA) et les directions générales (DG) des entreprises publiques relèvent du concept de la gouvernance d’entreprise. Cette dernière définie le conseil d’administration comme l’instance qui détermine les orientations stratégiques. « En tant qu’entité décisionnelle, le conseil fait face à des obligations dans la gestion des biens d’intérêt public. La théorie des organisations décrit bien le rôle du conseil d’administration : l’ « organe de gestion et de discipline des dirigeants [… ] un élément indissociable de l’élaboration de la stratégie à suivre par l’entreprise[1]». Elle est aussi « l’ensemble des mécanismes organisationnels qui ont pour effet de délimiter les pouvoirs et d’influencer les décisions des dirigeants, autrement dit, qui ‘gouvernent’ leur conduite et définissent leur espace discrétionnaire,  ….[2] . La gouvernance des entreprises publiques se base sur le rôle axial de l’Etat au titre de propriétaire et actionnaire de celle-ci tout en respectant, l’un des principes de la théorie de l’Agence : nécessité de séparer le rôle de directeur général de celui du président du conseil d’administration pour rendre efficace le conseil d’administration (Mallette et Fowler, 1992)[3].

En Haïti, comme en France[4] et au Québec, le législateur adopte ce principe de la théorie de l’Agence pour établir la relation entre le CA et la DG tout en excluant le fait que le CA n’est pas l’autorité de nomination et de révocation du responsable de la DG[5]. En effet, l’article 20 de la loi du 22 septembre 2017, portant création, organisation et fonctionnement du FNE, stipule que « le Directeur General est désigné sur proposition du Ministre de tutelle. Il est nommé par le Président de la République par Arrêté pris en Conseil des Ministres » avec un mandat de trois (3) ans (Article 21).

Cependant, pour mieux comprendre cette relation, Il est important de « déterminer le cadre légal et fiscal des activités économiques ; d’assumer ses responsabilités au titre des politiques publiques dont il a la charge en matière sociale, industrielle ou d’aménagement du territoire. En plus, définir les conditions de mise en œuvre du service public lorsque celui relève de l’État et non des collectivités territoriales et réguler les secteurs d’activité »[6].

  1. De la Direction Générale du FNE

Les articles 18, 19, 20 et 21 de la loi, du 22 septembre 2017, portant création, organisation et fonctionnement du FNE définissent la Direction Générale, le profil du Directeur Général ainsi que son rôle au sein de la structure organisationnelle.

  1. Les pouvoirs du Directeur Général du FNE

A l’exception des alinéas b et c de l’article 22 de la loi du 22 septembre 2017 conférant une fonction de représentation au Directeur General du FNE et de l’article 23 définissant son aire administrative décisionnelle [8], un fort pourcentage des attributions de ce dernier sont liées aux résolutions du Conseil d’Administration. Il en est de même de la fixation de son salaire.

Les lignes qui suivent constituent une liste d’attributions liant le DG du FNE à son Conseil d’Administration.

  1. Préparer l’ordre du jour des réunions du Conseil d’Administration du FNE sur proposition de son Président et des autres membres ;
  2. Assister, sans voix délibérative, à toutes les réunions du Conseil d’Administration du FNE ;
  3. Assurer le Secrétariat Exécutif du Conseil d’Administration du FNE et consigner les délibérations et résolutions de ce Conseil dans des procès-verbaux tenus à cet effet et devant être signés par tous les Membres ;
  4. Délivrer, dans les deux (2) jours francs après la réunion du Conseil d’Administration du FNE, les copies conformes du procès-verbal de ladite réunion a tous les membres de ce Conseil, conformément aux dispositions de l’article 140.5 du Décret du 17mai 2025 portant sur l’Organisation de I’ Administration Centrale de l’Etat ;
  5. Elaborer les budgets, les programmes annuels et les états financiers et instruire tous les dossiers soumis au Conseil d’Administration du FNE ;
  6. Mettre en application les décisions du Conseil d’Administration du FNE et lui rendre compte de leur exécution ainsi que de toutes décisions qu’il a prises en vertu des délégations qui lui sont consenties par ce Conseil.
  7. L’absence de code de bonne gouvernance du FNE
    • Comme l’ont souligné Belfellah & Carassus (2017), les entreprises publiques, au-delà des exigences de détermination de leur forme juridique, ont une vocation d’assumer leurs responsabilités au titre des politiques publiques dont elles ont la charge en matière sociale, industrielle ou d’aménagement du territoire.  Par exemple, « En France, selon une décision du gouvernement en Mars 2010, les objectifs des entreprises publiques doivent être dirigés vers l’apport d’une contribution active à la politique industrielle et sociale du gouvernement. En Août 2010, un commissaire des entreprises publiques, qui relève du Ministère de l’Economie et des Finances, a été nommée pour superviser cette politique »[9]. Cependant, depuis les années 90, les lois, règles et standards ce sont multipliés afin de définir les lignes de la “meilleure gouvernance”. D’après la liste fournie par l’European Corporate Governance Institute, 253 codes ont été publiés entre 1992 et 2012 : 240 codes nationaux émanant de 60 pays différents et 13 codes internationaux[10]. Et, de ces codes de gouvernance sont créés   des comités spécialisés (Audit – interne ou externe-, Nominations et rémunération) et certains ministères des finances, en dehors des ministères de tutelle, jouent un rôle important par la publication de directives en matière de conflit d’intérêt[11] .
    • En Haïti, s’agit-il du FNE, il n’existe pas d’instances ou organes internes assurant l’application stricte d’un code de bonne gouvernance. Le législateur n’a prévu qu’un conseil consultatif dont le mandat consiste à « promouvoir des échanges à travers le dialogue et la concertation avec les opérateurs et les acteurs évoluant dans les domaines de l’enseignement et de l’éducation en vue d’assurer leur participation au processus décisionnel relatif aux activités du Fonds National de l’Education (FNE)»[12]. Ce qui fait du Conseil d’administration et de la Direction Générale juges et parties de leurs activités décisionnelles en matière de dépenses des fonds publics à travers des mécanismes dont l’audit administratif et financier relèverait des instruments comme les résolutions inscrites dans les procès-verbaux de réunions du conseil d’administration et les cahiers comptables.

A l’analyse, la Direction Générale du Fonds National de l’Éducation (FNE), en absence d’un Conseil d’Administration laxiste et nonchalant, possède des pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance au nom de l’institution. Ces pouvoirs ne seront limités que par l’objet social et par ceux attribués aux organes sociaux. En assurant le Secrétariat Exécutif du Conseil d’Administration, elle peut demander au Conseil d’Administration de réunir le conseil sur un ordre du jour déterminé. Autrement dit, elle peut fixer les règles du jeu d’une gestion complète des ressources humaines, financières, matérielles et informationnelles mises à sa disposition. Les seules limites légales indirectes et institutionnelles à ce type de relation sont assurées par la Commission Nationale de Marchés Publics (CNMP), la Cours Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif (CSCCA) et, possiblement, l’Inspection Générale de l’Économie et des Finances (IGMEF). Ces limites n’auraient du sens que si et seulement les ressources financières du FNE, provenant des redevances et droits constitués et définies par la loi, étaient inscrites dans le budget de la République. De fait, ces dernières ne sont pas budgétisées. Donc, les limites reposent sur des prescrits de la loi et une bonne entente entre les responsables du CA et de la DG. Comme le rapporte Gril (2023), exhortant une harmonie dans les relations CA et DG, « une bonne entente entre les deux est donc essentielle, sans toutefois tomber dans l’autre extrême. « Ils ne sont pas censés être les meilleurs amis du monde non plus ! »[13]. Dans le cas contraire, on observera une fuite des fonds publics vers des intérêts particuliers et personnels.

Le prochain article portera sur les sources de financement et la nature des dépenses  du Fonds National d’Éducation.

Georges Bernadin

30 septembre 2024

[1] Charreaux, Gérard (éd.), « Conseil d’administration et pouvoirs d’influence », In Le gouvernement des entreprises : corporate governance, théories et faits, Paris : Economica, 1997, p. 143.

[2] ibid., p. 8.

[3] Mallette, P., & Fowler, K. L. (1992). Effects of board composition and stock ownership on the adoption of « poison pills ». Academy of Management journal, 35(5), 1010-1035.

[4] En France, les directeurs généraux des grandes entreprises publiques sont désignés par décret présidentiel, généralement en accord avec l’entité actionnaire, qui propose des candidats en fonction de leurs compétences. Gouvernance des entreprises publiques de l’OCDE– ISBN 92-64-00944-2 – © OCDE 2005.

[5] Gouvernance des entreprises publiques de l’OCDE– ISBN 92-64-00944-2 – © OCDE 2005

[6] Younes Belfellah, David Carassus. La gouvernance des entreprises publiques : analyse comparative à l’échelle internationale. 6ème Colloque de l’Association Internationale de Recherche en Management Public, Jun 2017, Nice, France. ffhal-02142220

[7] OECD (2021), Examens de l’OCDE sur la gouvernance publique : Haïti : Renforcer l’administration pour une gouvernance publique résiliente et durable, Examens de l’OCDE sur la gouvernance publique, OECD Publishing, Paris, https://doi.org/10.1787/f826ac45-fr

[8] Article 23.-Le Directeur General assure le fonctionnement du FNE et exerce l’autorité hiérarchique sur tout le personnel du FNE. Il décide, dans le cadre des règlements intemes et des budgets approuves par le Conseil d’Administration du FNE, du recrutement, du transfert, de l’avancement et de la cessation des fonctions des membres du personnel du FNE. Il met en application les règles relatives à la rémunération du personnel

[9] Younes Belfellah, David Carassus. La gouvernance des entreprises publiques : analyse comparative à l’échelle internationale. 6ème Colloque de l’Association Internationale de Recherche en Management Public, Jun 2017, P. 10. Nice, France. ffhal-02142220f

[10] ibid., p. 10.

[11] ibid., pp. 11 – 16.

[12] Article 14 de la loi portant création, organisation et fonctionnement du Fonds National d’Éducation publiée le 22 septembre 2017

[13]  Gril, E. (2023). Relations entre le C.A. et la direction générale : une nécessaire harmonie

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