L’annonce du ministère de l’Éducation nationale relative au LIV INIK AN KREYÒL qui devait être introduit à la mi-juin 2023 dans les écoles du pays à hauteur de 1 million d’exemplaires à distribuer gratuitement a retenu l’attention des directeurs d’écoles et des enseignants. S’il est éventuellement avéré –comme le soutiennent plusieurs directeurs d’écoles et nombre d’enseignants –, que la diffusion massive du LIV INIK AN KREYÒL n’a pas encore débuté au début du mois d’août 2023, de nombreuses questions demeurent ouvertes. D’abord en quoi consiste le LIV INIK AN KREYÒL ? À quels objectifs pédagogiques doit-il répondre ? Par qui a-t-il été élaboré et édité ? Les organisations professionnelles d’enseignants ont-elles été associées à la conception de ce nouvel outil pédagogique ? L’expertise de l’École normale supérieure et de la Faculté de linguistique appliquée de l’Université d’État d’Haïti a-t-elle été sollicitée à l’étape de la conceptualisation et de la validation du LIV INIK AN KREYÒL ? À combien s’élève le financement global de ce projet au ministère de l’Éducation nationale ? Sur le plan de la didactique créole et de la didactisation du créole, qu’est-ce qui caractérise le LIV INIK AN KREYÒL ? Comment expliquer que le projet de LIV INIK AN KREYÒL ait pu être mis en route en dehors d’une politique linguistique éducative nationale qui se fait toujours attendre ? C’est pour répondre à cet ensemble de questions que la présente entrevue exclusive a été conduite avec Charles Tardieu, directeur des Éditions Zémès. Mais avant d’accéder aux réponses de cette entrevue, il est utile de replacer la complexe question de l’usage du créole au sein de l’apprentissage scolaire dans son contexte historique, pédagogique et institutionnel.
Le linguiste Renauld Govain, doyen de la Faculté de linguistique appliquée de l’Université d’État d’Haïti, est l’auteur d’une étude fort instructive, « De l’expression vernaculaire à l’élaboration scientifique : le créole haïtien à l’épreuve des représentations méta-épilinguistiques » (revue Contextes et didactiques, 17 | 2021). Mettant en lumière l’antériorité des débats sur le créole, Renauld Govain nous instruit que « (…) le Général Guérin, secrétaire du Président Alexandre Pétion (1807-1818), proposait d’utiliser le CH [créole haïtien] comme langue d’enseignement à l’école primaire. En 1898, Georges Sylvain aurait déclaré que si le créole était introduit dans les écoles primaires, rurales et urbaines, le problème de l’organisation de l’enseignement populaire haïtien connaitrait une nette amélioration (cité par Vaval 1911) ». Dans les années 1940, la perspective de l’usage du créole dans l’enseignement a été posée notamment par Christian Beaulieu, compagnon de lutte de Jacques Roumain et auteur de « Pour écrire le créole » (Les Griots, 1939). Il fut l’un des premiers, à cette époque, à réclamer l’utilisation du créole à des fins pédagogiques. De manière plus programmatique, la question de l’aménagement du créole dans le système éducatif haïtien a été posée avec la réforme Bernard de 1979, mise en veilleuse en 1987, et qui faisait du créole langue d’enseignement et langue enseignée (voir notre article « De l’usage du créole dans l’apprentissage scolaire en Haïti : qu’en savons-nous vraiment ? » (Le National, 11 novembre 2021). De la mise en veilleuse de la réforme Bernard en 1987 à aujourd’hui, l’État haïtien n’a toujours pas fourni un bilan analytique détaillé de cette première grande réforme du système éducatif national (voir notre article « L’aménagement du créole en Haïti et la réforme Bernard de 1979 : le bilan exhaustif reste à faire » (Le National, 17 mars 2021). Toujours sur le plan historique, les contributeurs du livre « Haïti : couleurs, croyances, créole » ont noté qu’« À partir de l’occupation américaine (…) on commença à réclamer l’utilisation du créole dans une vaste campagne d’alphabétisation du peuple. Que l’on puisse également produire des œuvres littéraires sérieuses et des études scientifiques en créole semblait prématuré [sic]. Il est vrai qu’une Académie créole fut fondée en 1947, sous la présidence de Charles-Fernand Pressoir et la vice-présidence de Jean Price-Mars. Mais, après sa séance inaugurale, dont Haïti Journal rend compte le 10 février, elle semble ne s’être plus jamais réunie. 1956 vit la création, sous la présidence de Lamartinière Honorat, d’un Institut de langue créole, société culturelle dont les statuts furent publiés dans Panorama (nouvelle série, mars 1956, pp. 35-38). Son but était « de promouvoir le développement de la langue créole et de la culture populaire nationale ». Cet Institut de langue créole se proposait, entre autres tâches, de « publier une histoire complète de la langue créole et une revue littéraire créole » et de « préparer l’édition d’une grammaire et d’un dictionnaire créoles ». Ces projets non plus n’aboutirent pas. » (« Haïti : couleurs, croyances, créole », sous la direction de Léon-François Hoffmann, Éditions du Cidihca, 1989).
Alors même que le ministère de l’Éducation nationale, sans se référer à un quelconque bilan analytique de la réforme Bernard de 1979, se revendique de ses « orientations stratégiques » dans plusieurs documents officiels, c’est encore le linguiste Renauld Govain qui fournit un éclairage de premier plan sur les lacunes et les limites de cette réforme : « La réforme de 1979 a certes introduit le CH [créole haïtien] à l’école à la fois comme langue d’enseignement et langue enseignée, mais elle ne s’est pas donné les moyens de l’application de cette mesure : les outils et matériels didactiques nécessaires à cela n’ont pas été développés et toutes les écoles de la république n’ont pas été amenées à comprendre qu’elles devaient se plier à la mesure parce qu’elle est une mesure officielle s’inscrivant dans une dynamique de régulation du système scolaire. Cette introduction est un pas en avant pour la valorisation de la langue mais ne suffit pas pour l’aider à dépasser les représentations négatives dont elle est l’objet depuis la naissance de l’État d’Haïti. On pourrait même imaginer que cela participe à la cristallisation des idées reçues consistant à faire croire que le CH est inapte à exprimer des réalités relevant d’un certain niveau d’abstraction car il n’y a guère de manuels ou d’autres outils didactiques. Or, les manuels didactiques sont à même de montrer que la langue est capable d’abstraction, le discours didactique étant modelé de façon telle qu’il est différent du discours vernaculaire des activités de tous les jours. En outre, sur un plan plus théorique, il n’a été conçu aucun dispositif didactique, voire méthodologique sur la langue en vue de la rendre plus apte à remplir son rôle de langue d’enseignement. Il est donc plus que nécessaire de mettre à disposition des praticiens des orientations théoriques en termes de didactique du créole langue maternelle. La question de didactisation de la langue reste donc pendante » (Renauld Govain, « De l’expression vernaculaire à l’élaboration scientifique : le créole haïtien à l’épreuve des représentations méta-épilinguistiques » (revue Contextes et didactiques, 17 | 2021). Cette pertinente réflexion de Renauld Govain sur la didactisation de la langue créole a été amplement élargie et approfondie dans l’article qu’il a rédigé avec la collaboration de Guerlande Bien-Aimé, « Pour une didactique du créole haïtien langue maternelle » paru dans le livre collectif de référence « La didactisation du créole au cœur de l’aménagement linguistique en Haïti » (par Robert Berrouët-Oriol et alii, Éditions Zémès et Éditions du Cidihca, 2021).
Ces dernières années, plusieurs éditeurs de manuels scolaires, en Haïti, ont consenti de remarquables efforts pour produire et diffuser des outils didactiques en langue créole (livres de didactique et de communication créole et livres ciblant les matières scolaires). Ainsi, les Éditions Pédagogie nouvelle, Canapé Vert, Henri Deschamps, Zémès, C3, CUC-Université Caraïbe ont-elles introduit plusieurs titres sur le marché du livre sans attendre l’adoption, au ministère de l’Éducation nationale, d’une véritable politique nationale du livre, du manuel scolaire et d’autres matériels didactiques. En Floride, EducaVision s’est lancé dans la production de livres bilingues anglais-créole mais l’on ne dispose pas de données permettant de savoir ni d’évaluer leur éventuelle diffusion dans les écoles d’Haïti.
C’est donc dans ce contexte général qu’est apparu le projet de LIV INIK AN KREYÒL. En raison de l’importance qu’il semble devoir revêtir pour l’ensemble du système éducatif national, en dépit du fait que 80% des écoles du pays sont financées et administrées par le secteur privé de l’éducation (l’État ne répond qu’à 20% de l’offre scolaire), le projet de LIV INIK AN KREYÒL doit faire l’objet d’une réflexion analytique approfondie. La présente entrevue exclusive entend y contribuer.
Q/ Robert Berrouët-Oriol (RB-O) : Pouvez-vous expliquer, compte-tenu de votre connaissance du marché du livre scolaire en Haïti, en quoi consiste précisément le LIV INIK AN KREYÒL ? À quels objectifs pédagogiques entend-il répondre ? S’agit-il d’un ouvrage recommandé, optionnel ou obligatoire dans toutes les écoles du pays ?
R/ Charles Tardieu (CT) : En tout premier lieu, il faut signaler que toute la documentation relative au marché du livre unique en créole a été produite et distribuée aux éditeurs exclusivement en français ! D’après les communications fortement médiatisées du ministère de l’Éducation nationale et de la formation professionnelle (MENFP), les livres « uniques » des 7 éditeurs devaient être distribués gratuitement à tous les élèves de toutes les écoles en Haïti à la rentrée scolaire 2022-2023 même si le MENFP ne sait toujours pas à combien d’écoles cette promesse s’adresse. (Le MENFP n’a pas un recensement exhaustif des écoles, des écoliers et des enseignants évoluant dans le système !).
Techniquement, un livre unique comporte les contenus des 5 matières de base en 1 ou 2 tomes : créole, français, mathématiques, sciences sociales et sciences expérimentales, plus 1 cahier d’exercices pour les 5 matières. L’écolier a donc un seul livre et un cahier d’exercices en tout temps durant l’année scolaire. Ceci remplace la multitude de manuels que les écoles réclament souvent d’un écolier (ce qui implique des coûts exorbitants et un poids énorme dans le cartable d’un enfant en bas âge, ce qui implique aussi des risques de perte d’un livre à remplacer en cours d’année. Ceci représente donc à la fois un avantage économique et pédagogique pour l’écolier et sa famille).
Le MENFP n’a aucune provision légale pour exiger l’utilisation d’un livre plutôt qu’un autre dans le système éducatif national et encore moins lui permettant de faire respecter le strict minimum du programme officiel de l’École fondamentale comme stipulé par le PD (Programme détaillé de l’École fondamentale). L’école est entièrement libre d’utiliser les ouvrages qui lui plaisent, même en termes de rapport avec le curriculum officiel du MENFP. Et à ce titre, de nombreuses écoles et enseignants n’ont même pas une copie de ces exemplaires du PD datant, d’ailleurs, des années 1980-86 (une quarantaine d’années) et qui n’ont jamais été mis à jour ! Ces documents sont aussi très rares sur le marché, même si les éditions Henri Deschamps avaient pris l’heureuse initiative d’en reproduire des exemplaires pour la vente.
Le ministère n’a pu distribuer ces livres au début janvier 2023 date de livraison par la majorité des éditeurs à cause de la date tardive de signature des contrats. Il prévoit donc les distribuer pour la rentrée scolaire 2023-2024.
Cependant, certaines écoles auraient reçu des échantillons de ces livres uniques l’année dernière. Mais personne ne sait précisément comment seront distribués ces manuels et à quelles écoles. Je te propose de faire un petit sondage rapide pour voir quelles écoles, a 5-6 semaines de la rentrée scolaire, ont obtenu un engagement du MENFP pour recevoir assez de copies des livres pour chaque écolier des 1 et 2e années fondamentales correspondant à leurs effectifs pour la rentrée prévue pour le 11 septembre 2023. Mieux, on peut se poser la question à savoir est-ce que les écoles « savent », quand et lequel des 7 livres uniques (de quel éditeur) son école sera dotée ? Depuis le début du mois d’août 2023 le ministère a entrepris une opération de distribution très médiatisée, malgré tout tardive, des livres uniques. Il faut espérer que les écoles, qui généralement préparent leurs listes de livres et les distribuent à la fermeture des classes (juin-juillet) auront été prévenues bien à l’avance pour que ces listes en tiennent compte.
De ce que je comprends, les livres seront distribués en nombre « suffisant » pour que chaque écolier des classes de 1re et 2e années fondamentales de toutes les écoles de la république reçoive un livre unique et un cahier d’exercice. D’ailleurs la publicité du MENFP va dans ce sens : pas besoin d’acheter de manuels pour ces classes et surtout les multitudes de livres généralement exigés par de très nombreuses écoles.
Autre contrainte importante dans le cadre de ce projet de distribution gratuite de livres uniques, ce sont les instances du ministère qui procèderont unilatéralement au choix d’un des 7 livres uniques qui sera attribué à une école donnée. D’ailleurs, le ministère a aussi prévu, se basant principalement sur les prix des offres financières des éditeurs, qu’il déciderait au cours du processus d’allocation des marchés quels livres seront distribués dans chaque département. Ce faisant, le ministère se substitue aux éducateurs pour le choix des manuels dans les écoles, le fait à partir de critères financiers et non pédagogiques, et établit une sorte d’homonogéité monopolistique par département.
RB-O : Selon les informations dont vous disposez en ce qui a trait au marché du livre scolaire en Haïti, par qui le LIV INIK AN KREYÒL a-t-il été élaboré et édité ? Existe-il UN SEUL LIV INIK AN KREYÒL ou chacun des sept éditeurs retenus pour élaborer et éditer le livre a-t-il rédigé et édité son propre livre unique, ce qui laisserait croire, dans cette hypothèse, qu’il existerait actuellement SEPT VERSIONS DISTINCTES DU LIV INIK AN KREYÒL ?
CT : En effet, il s’agit bien de 7 livres uniques distincts qui existent sur le marché organisé par le MENFP. Chacun des 7 éditeurs retenus a produit son propre livre unique à partir de son catalogue antérieur et/ou en en produisant un tout nouveau. Les livres uniques des Éditions Zemès, par exemple, ont été produits à partir de manuels existants dans son catalogue et les ont adaptés pour répondre aux exigences du MENFP. Ainsi, certains de nos manuels existaient en version bilingue (créole–français). Nous avons donc éliminé la partie française. D’autres n’existaient qu’en version française. Il a donc fallu les produire en créole (ce qui est tout à fait différent d’une simple traduction).
RB-O : Un nombre indéterminé d’enseignants et de directeurs d’écoles s’opposent déjà, selon nos informations, à l’arrivée du LIV INIK AN KREYÒL dans les écoles du pays. Ils soutiennent que cet ouvrage risque d’enfermer l’apprentissage des matières scolaires dans le format étroit d’un condensé unique de 300 pages là où les élèves devraient pouvoir disposer d’un large éventail de ressources didactiques diversifiées et couvrant toutes les matières scolaires. Qu’en pensez-vous ?
CT : En effet, beaucoup d’éducateurs soucieux d’une formation de qualité ont évoqué ce défi réel des livres uniques. Nous aux Éditions Zemès, nous avons dû réduire énormément les contenus des 5 livres originaux pour tenter de respecter cette exigence du MENFP, soit un maximum de 300 pages incluant un cahier d’exercices.
Cette exigence de nombre de pages correspondait à un des critères de qualification/évaluation de l’offre de l’éditeur. Il nous a été impossible de respecter ce critère que nous avons, par ailleurs, estimé être une marque du nivellement par le bas pour les écoliers haïtiens. Nous comprenons fort bien les contraintes financières du gouvernement haïtien qui d’ailleurs avait aussi fixé un prix maximum pour le livre scolaire de 1 500 HTG par unité. Certains éditeurs ont accepté ces critères du nombre de pages et de prix sans broncher tandis qu’au moins 3 éditeurs, dont Zémès, ont fortement protesté sans résultat, le MENFP maintenant ces deux exigences associées à des points de qualification de l’appel d’offres.
RB-O : À votre connaissance, le ministère de l’Éducation nationale a-t-il mis sur pied un mécanisme de contrôle de l’implantation du LIV INIK AN KREYÒL dans l’ensemble des écoles du pays et si oui quelles en sont les caractéristiques ?
CT : Les Éditions Zemès ne sont pas au courant de l’existence d’un tel mécanisme. Le ministère a mentionné qu’il allait procéder à une évaluation en cours d’expérimentation. Les Éditions Zémès ont signalé leur intérêt à participer à une telle évaluation. Cependant le MENFP a indiqué qu’un accord de coopération aurait été conclu avec une université haïtienne et que la présence des éditeurs serait une source de conflit d’intérêts.
Puisque les livres ne seront réellement distribués qu’a la prochaine rentrée scolaire, les Éditions Zemès vont reformuler leur intérêt à participer de quelque manière que ce soit à cette évaluation.
RB-O : Selon vous, les organisations professionnelles d’enseignants ont-elles été associées à la conception de ce nouvel outil pédagogique ?
CT : Nous ne sommes pas au courant de tels dispositifs ou te telles démarches auprès des enseignants. Il y a eu des rencontres d’information avec les éditeurs où nous avons pu formuler quelques remarques. Notre compréhension est que les unités techniques du MENFP ont conçu seules les termes de références et les critères d’évaluation.
RB-O : Comment expliquer que l’expertise de l’École normale supérieure et de la Faculté de linguistique appliquée de l’Université d’État d’Haïti n’ait pas été sollicitée à l’étape de la conceptualisation et de la validation du LIV INIK AN KREYÒL ?
CT : Pour être francs, nous ne croyons malheureusement pas que ces deux Facultés aient les compétences en élaboration, conceptualisation et validation/expérimentation de manuels scolaires. D’ailleurs, nous doutons fort que les autres universités haïtiennes disposent de telles compétences. Toutefois, les associer à une telle expérience aurait pu contribuer à créer ces compétences dans les réseaux universitaires en Haïti.
RB-O : Le livre scolaire unique a été expérimenté dans certains pays d’Afrique, notamment au Cameroun où il fut dans un premier temps introduit puis recalé pour ensuite être à nouveau diffusé dans les écoles conformément aux directives du Conseil national d’agrément des manuels scolaires et des matériels didactiques. À votre connaissance, le LIV INIK AN KREYÒL a-t-il fait l’objet d’un projet-pilote de validation dans des écoles-cibles avant d’être promu à une diffusion massive dans les écoles d’Haïti ?
CT : Les informations dont nous disposons nous autorisent à croire que la production des livres uniques en créole comportant les 5 matières de base est une première pour chacun des 7 éditeurs.
RB-O : Disposez-vous de données relatives au financement global de ce projet au ministère de l’Éducation nationale ? Celui-ci s’est-il formellement engagé à acheter de chacun des sept éditeurs retenus pour élaborer et éditer le LIV INIK AN KREYÒL un nombre préétabli d’ouvrages qu’il entend distribuer gratuitement dans les écoles du pays ?
CT : Les contrats signés avec le MENFP assignent clairement un nombre de livres pour chacun des 6 éditeurs retenus dans le processus d’appel d’offres. Les Éditions Zemès ont été éliminées à l’examen des pièces, soit la carte d’immatriculation au ministère du commerce soumise en retard. Cependant Zemès a fait partie d’un marché spécial dans le cadre d’un projet financé par la Banque Mondiale (PEQH).
Le document d’appel d’offres fait mention de la décision du ministère de faire éditer et produire à travers ce marché 1,2 millions de manuels pour les 1e et 2e années fondamentales.
Aucune information précise n’a été communiquée aux Éditions Zemès sur le coût global du marché, sur le nombre de manuels commandés aux éditeurs et sur le nombre réel de manuels produits dans ce programme.
Toutefois, plusieurs éditeurs, dont les Éditions Zémès, sont en négociation actuellement avec le MENFP pour la production de manuels supplémentaires pour la rentrée de septembre.
RB-O : Sur le registre combien essentiel de la didactique créole, qu’est-ce qui caractérise le LIV INIK AN KREYÒL ? De quelle manière, sur le plan de la didactique créole, le LIV INIK AN KREYÒL se démarque-t-il des ouvrages précédents rédigés en créole depuis environ vingt ans ? Sur le plan de la méthodologie, les rédacteurs du LIV INIK AN KREYÒL disposent-ils d’un protocole unique et normalisé de rédaction du contenu de l’ouvrage ?
CT : Les seules directives sont celles fournies avec l’appel d’offres de production des manuels. À ce titre on peut signaler le dossier d’appel d’offres constitué : du Cahier des charges pour l’élaboration du livre scolaire unique (comportant quelques modalités et suggestions pour l’élaboration), la Charte d’Éthique applicable aux acteurs des marchés publics et des conventions de concession d’ouvrage de service public, les directives pour l’évaluation et l’attribution des offres.
RB-O : Il semble qu’il existe une zone de turbulence en ce qui a trait au marché du livre scolaire en Haïti qui mobilise les éducateurs (enseignants et directeurs d’écoles) et le réseau des bouquinistes. Le livre scolaire unique offert et distribué gratuitement directement par le ministère de l’Éducation nationale va certainement fragiliser sinon court-circuiter complètement le réseau des bouquinistes, ce qui se traduira par des pertes énormes pour les bouquinistes. Dans cette hypothèse, les bouquinistes agissant comme agents du marché scolaire, ne vont-ils pas s’opposer au LIV INIK AN KREYÒL ?
CT : Tout à fait. Le marché scolaire en Haïti représente un moment de rentrées fort pour un nombre important de petits commerçants à travers tout le pays. Les deux premières classes de l’école fondamentale, pas encore affectées par la déperdition scolaire, comptent le plus grand nombre d’écoliers du système, donc la clientèle la plus nombreuse pour les bouquinistes et les petits commerces. Si la distribution des livres uniques atteint toutes les écoles comme se propose de le faire le MENFP, les manuels aussi bien neufs que recyclés généralement distribués à travers cet important réseau ne trouveront pas d’acheteurs, ce qui se traduira en des pertes énormes pour les bouquinistes qui ont eu à investir dans l’acquisition de manuels neufs et de seconde main pour les cinq disciplines couvertes par les livres uniques.
RB-O : Merci d’avoir aimablement répondu aux questions de cette entrevue.