Le projet « livre unique » répond non seulement à une exigence légale, mais aussi met fin à la violation systématique des droits linguistiques des élèves haïtiens. Il est légitime que chaque haïtien apprenne dans sa langue maternelle. Comme toutes les autres communautés linguistiques, la communauté linguistique haïtienne possède ses droits linguistiques. Chaque individu ou groupe d’individus appartenant à une même communauté linguistique possèdent des droits linguistiques. La notion générique de droits linguistiques recouvre son acceptation propre ainsi que les notions spécifiques de « droit à la langue » et droits linguistiques ».
Le Thésaurus en ligne de l’activité gouvernementale (TAG) du gouvernement de Québec (2017) définit de la manière suivante les droits linguistiques :
« Ensemble de droits fondamentaux dont disposent les membres d’une communauté linguistique tels que le droit à l’usage privé et public de leur langue, le droit à une présence équitable de leur langue dans les moyens de communication et le droit d’être accueilli dans leur langue dans les organismes officiels. »
La déclaration universelle des droits linguistiques est un document signé à Barcelone (Espagne) en juin 1996 par l’UNESCO ainsi que par différents organismes non gouvernementaux appuyant les droits linguistiques des individus ou des collectivités. Les organisations non gouvernementales provenaient de 90 pays différents et plusieurs experts en droit linguistique s’y étaient rassemblés sous l’initiative du Comité des traductions et droits linguistiques du PEN Club International et CIEMEN (Centre international Escarré pour les minorités ethniques et les nations). Cette initiative a eu le soutien moral et technique de l’UNESCO.
Les droits linguistiques sont de deux sortes. Premièrement, chaque personne a le droit de parler, de lire et d’écrire sa propre langue (principe de personnalité). Le principe de personnalité est l’un des choix appliqués pour orienter la politique linguistique. Ensuite, les membres d’une communauté ont le droit de parler, de lire et d’écrire la langue de leur communauté (principe de territorialité). Ce principe oriente la politique linguistique vers des droits collectifs de la population. Il prend appui sur la langue du territoire.
Les droits linguistiques sont réglementés par la loi. Les dispositions de ces droits sont relatées dans deux documents fondamentaux importants : d’abord, la Déclaration universelle des droits linguistiques qui est ratifiée par l’État haïtien. Elle a la même importance que la Déclaration universelle des droits de l’homme, ensuite, la Constitution de 1987 de la République d’Haïti.
Les droits linguistiques désignent les droits en toutes circonstances à l’usage de la langue maternelle dans une communauté de locuteurs. Les droits linguistiques recouvrent aussi le droit à l’usage d’une langue seconde chez les sujets parlants dans une communauté.
La déclaration universelle de droits linguistiques a été proclamée à Barcelone entre le 6 et le 8 juin 1996, durant la conférence mondiale des droits linguistiques. La Déclaration stipule que tous les peuples ont (…) le droit d’exprimer et développer leur culture, leur langue et leurs normes d’organisation, se dotant pour cela de leurs propres structures politiques, éducatives, de communication et d’administration publique.
Un des apports les plus importants au droit linguistique consiste dans le fait que la déclaration considère inséparables et interdépendantes les dimensions collective et individuelle des droits linguistiques, car la langue se constitue d’une manière collective au sein d’une communauté et c’est aussi au sein de cette même communauté que les personnes en font un usage individuel. De cette manière, l’exercice des droits linguistiques individuels peut seulement devenir effectif si l’on respecte les droits collectifs de toutes les communautés et de tous les groupes linguistiques.
Pour ces deux champs de compétence, le juriliguiste Francisco Gomes de Matos exprime par des exemples éclairants la notion de droit linguistique en partant du principe que les droits linguistiques sont à la fois individuels et collectifs.
Voici quelques exemples de droits collectifs applicables aux groupes linguistiques :
1- Le droit pour chaque groupe à l’enseignement de sa langue et de sa culture ;
2- Le droit pour chaque groupe à une présence équitable de sa langue et de sa culture dans les medias ;
3- Le droit pour chaque membre des groupes considérés de se voir répondre dans sa propre langue dans ses relations avec les pouvoirs publics et dans les relations socio-économiques.
Droits langagiers
A l’intérieur des droits linguistiques, il y a aussi les droits langagiers de la personne. Ceci renvoie à la fois à l’idée du droit qu’a tout locuteur d’user de sa langue et du droit de toute langue à être préservée. La charte universelle des droits langagiers fondamentaux de la personne rédigée en 1993 par la fédération internationale des professeurs de langues vivantes à l’attention de l’UNESCO décrit bien les droits langagiers de la personne. En voici quelques extraits :
– Toute personne a le droit d’acquérir sa langue maternelle ;
– Toute personne a le droit d’acquérir la langue officielle ou au moins une des langues officielles du pays responsable de l’enseignement qu’elle reçoit ;
– Tout jeune a le droit de recevoir l’enseignement de la langue avec laquelle lui-même ou sa famille s’identifie le plus ;
– Le droit d’utiliser, parler, lire ou écrire une langue, de l’apprendre, l’enseigner ou d’y accéder ne peut être délibérément opprimé ou interdit.
Ce survol qui éclaire l’opinion sur les droits linguistiques et son cadre jurilinguistique permet de confirmer que le peuple haïtien, à l’instar de n’importe quel autre peuple, a des droits linguistiques et que ces droits linguistiques font partie des droits humains fondamentaux ; ces doits linguistiques sont aussi essentiels que le droit à la santé, à l’éducation, à la liberté d’expression et d’association.
Le droit à la langue et à la langue maternelle
Le droit à langue désigne le droit qu’ont tous les locuteurs d’acquérir la langue de leur choix dans les différents contextes géographiques et culturels. Il est donc distinct du droit à la langue maternelle.
Le droit à la langue maternelle fait partie du grand ensemble des droits linguistiques. Dans son acceptation première il désigne le droit à l’usage privé et public de la langue, le droit que tous les locuteurs ont d’utiliser leur langue native dans tous les contextes de vie. Il désigne et consacre également, dans le cas d’Haïti, la reconnaissance et la primauté de la langue maternelle créole au titre d’un droit humain fondamental pour tous les Haïtiens nés et élevés en Haïti. La reconnaissance du droit à la langue maternelle devra être arrimée aux autres droits fondamentaux consignés dans la Constitution de 1987.
Les droits linguistiques du créole
Sur la base du principe de territorialité différencié, voici quelques droits dont la communauté créole doit bénéficier (tirés du DUDL) :
1- Toute communauté linguistique a droit à ce que sa langue soit utilisée en tant que langue officielle sur son propre territoire. (Article 15.1);
2- Toute communauté linguistique a le droit d’exiger que les lois et les autres dispositions juridiques qui la concernent soient publiées dans la langue propre à son territoire. (Article 18.1);
3- Toute communauté linguistique a le droit de décider quel doit être le degré de présence de sa langue, en tant que langue véhiculaire et objet d’étude, et cela à tous les niveaux de l’enseignement au sein de son territoire : préscolaire, primaire, technique et professionnel, universitaire et formation des adultes. (Article 24);
4- Toute communauté linguistique a le droit de décider quel doit être le degré de présence de sa langue dans les médias de son territoire, et ceci qu’il s’agisse de médias locaux ou de médias d’une plus grande portée et recourant à une technique plus avancée, indépendamment du système de distribution ou du mode de transmission utilisé. (Article 35);
5- Toute communauté linguistique a droit à un enseignement qui permet à tous ses membres d’acquérir une maitrise totale de leur propre langue de façon à pouvoir l’utiliser dans tout champ d’activités, ainsi que la meilleure maitrise possible de toute autre langue qu’ils souhaitent apprendre. (Article 26);
6- Toute communauté linguistique a le droit d’établir l’usage de sa langue dans toutes les activités socio-économiques au sein de son territoire. (Article 47.1);
7- Toute personne a le droit d’utiliser la langue propre au territoire dans ses relations avec les entreprises, les établissements commerciaux et les organismes privés et d’exiger qu’il lui soit répondu dans cette langue. (Article 51.1);
8- Toute personne a le droit, comme client, consommateur ou usager, d’exiger d’être informée oralement ou par écrit dans sa langue propre au territoire dans les établissements ouverts au public. (Article 51.2);
9- Toute personne a le droit de recevoir l’enseignement dans la langue propre au territoire où elle réside. (Article 29.1) Ce droit n’exclut pas le droit d’accès à la connaissance orale et écrite de toute autre langue qui lui serve d’outil de communication avec d’autres communautés linguistiques. (Article 29.2).
Le droit à la langue maternelle fait obligation à l’Etat haïtien de légiférer en matière d’aménagement du créole dans l’espace public comme dans le champ éducatif. Seules des garanties légales et institutionnelles, instituées au préalable dans le cadre d’une loi contraignante d’aménagement linguistique, peuvent rassembler les unilingues créolophones autour de la restitution de leur droit à la langue maternelle reconnue et promue dans l’espace public comme dans le champ éducatif. Le droit à la langue maternelle créole ne s’oppose pas au français, l’une des deux langues du patrimoine linguistique d’Haïti.
JMG