Cher Robert Berrouët-Oriol,
Je viens de lire votre réaction sur l’appel de l’UNESCO pour le respect du droit à l’éducation et je vous remercie d’avoir fait référence à mes modestes commentaires sur le sujet. Mais au vrai, si je vous fais ce message, c’est surtout pour prendre acte de votre inlassable combat contre l’imposture des réformes linguistiques que conduisent les actuels pilotes de la gouvernance de l’Éducation du pays. S’il est vrai que votre combat se confine sur la linguistique, cela ne fait pas moins un combat contre l’insignifiance politique, comme le combat de l’éthique sur lequel je me confine reste un combat pour une politique de l’homme assumant son existence un tremplin pour faire éloge de la reliance du vivant avec la nature.
Et tout le drame haïtien est dans cette incapacité de ceux qui ont le savoir et la culture à penser leur existence au-delà de l’enfumage de leur petite réussite. Ce qui les prive de toute capacité d’évaluer leur insignifiance. Il est vrai qu’ils sont encouragés par une grande partie des experts que l’assistance internationale nous envoie, trop heureux de trouver des adjuvants pour leur propre succès d’enfumage. C’est cette méconnaissance du sens de l’existence qui amène l’insignifiance, qui est une perte de sens avec son environnement. Notre ministre de la Justice se croit utile, alors qu’elle pilote en aveugle un système judiciaire qui ne vit que de corruption et de criminalité. Notre ministre de l’Éducation se croit utile au pays, alors qu’il n’est que le pilote d’un système programmé pour produire des hommes et des femmes malicieux, sans valeurs éthiques inspirantes. Madame Myrlande H. Manigat se croit dans son rôle insignifiant utile au pays, alors qu’elle n’est qu’un adjuvant contraint par ses dettes éthique d’apporter sa caution académique à un système gangstérisé.
Tout cela pour dire, si beaucoup sont encore incapables de comprendre le sens de ce combat pour l’éthique, c’est par ce que beaucoup en Haïti , et aussi ailleurs, méconnaissent le sens de l’existence. Au cœur des sociétés humaines bat le rythme turbulent d’une exigence de changement pour que l’humain assure sa place existentielle dans un univers chaotique comme vivant en reliance avec son environnement. Dans cette perspective, qui ne change pas, se fossilise et se laisse emporter dans les abysses et n’existe plus. Et pour cause, car le verbe exister a pour étymologie latine ex-sistere qui signifie s’extraire de l’immobilité et se mettre en mouvement dans une direction déterminée. En toute logique anthropologique, tout collectif qui n’avance pas n’existe plus comme part du vivant appelé à magnifier la vie, qui est un mouvement permanent dans le sens de l’innovation. Mais avancer nécessite un repère qui ne peut être que contextuel. Les peuples qui n’ont pas de repère contextuel sont obligés de se laisser guider par d’autres, et encourent le risque de se fourvoyer. Car ces autres se meuvent selon leurs propres repères qui ne sont pas alignés sur celui du contexte local.
C’est justement ce que les insignifiants ne peuvent pas comprendre : La transformation innovante ne s’imite pas, elle est une brèche qui se forme dans la confrontation de l’imagination avec les incertitudes de son environnement. Confrontation qui débouche toujours sur un apprentissage turbulent, à travers des leviers de responsabilité. Leviers qui se construisent forcément autour d’un centre de valeurs et des liens d’humanité et de dignité. Liens qui doivent permettre de magnifier le vivant dont la raison d’exister est d’apprendre et de transmettre pour maintenir le sens de l’innovation dans la direction de la vie. Une manière de dire que si Haiti est verrouillé sur l’invariance, c’est en raison d’une panne de l’imagination. Sans imagination, avec tous les titres académiques, on reste insignifiant. Et l’insignifiant a du mal à comprendre qu’il n’est de valeurs épistémiques que par l’imagination. Comme le postule Gaston Bachelard, ‘‘l’imagination est la faculté majeure qui en s’ouvrant à la matérialité de l’univers crée chez l’homme de l’esprit et des valeurs’’ (Claudia Barrera, La Matérialité de l’Imaginaire chez Gaston Bachelard , 2008).
Faut-il encore expliquer pourquoi la majorité des ‘‘doctorés’’ haïtiens sont pour la grande majorité sans valeurs, sans finesse d’esprit ? Ils veulent appliquer les principes de la bonne gouvernance dans un pays où le marronnage et la malice ont conduit à la déformation des postures cognitives, autorisant le glissement et le contournement de tous les projets vers des intérêts personnels. En Haïti, le système est verrouillé pour ne récompenser que ceux qui sont loyaux envers la criminalité. Ce qui se passe en politique est l’exact reflet de ce qui se passe à tous les niveaux dans la société. Croire qu’un changement politique amènera un changement social est illusoire. C’est vers la refonte des mentalités qu’il faut orienter le changement , avec d’autres systèmes de mesures, d’autres valeurs.
A bientôt, et bon combat linguistique.
Respectueusement