CADRE DE MISE EN ŒUVRE DE LA POLITIQUE NATIONALE D’EVALUATION DES APPRENTISSAGES

Par Roller SAINT-PIERRE

LE PARTI PRIS THÉORIQUE

  1. Définition de la mise en œuvre

Le texte « Éléments d’élaboration de la politique nationale d’évaluation des apprentissages » paru dans le magazine Education en Marche (EEM) du Vol 1#2 est définie comme une politique publique. Dans la littérature, le processus qui permet à un gouvernement d’implémenter une politique publique s’appelle « mise en œuvre ». Comme le précise Van Meter et Van Rom (1975), la « mise en œuvre » représente « toutes les actions qu’entreprennent des individus ou des groupes relevant des secteurs public ou privé en vue de concrétiser les objectifs fixés par une politique. Elle constitue le cadre opératoire faisant intervenir individus et/ou institutions dans la traduction des éléments théoriques et volontaristes de la politique en termes de changement de l’espace social.

  1. Les approches de mise en œuvre

La littérature sur l’analyse de la mise en œuvre des politiques publiques dénote, à première vue, deux (2) approches complémentaires d’implémentation que certains auteurs, comme Hassenteufel (2014), qualifient d’opposées :

  1. une approche par le haut (top-down) liée à une conception traditionnelle de l’Etat qui impose ses décisions aux centres opérationnels. Trois (3) principes guident cette approche[1]: vision pyramidale et hiérarchique de l’Etat, forte séparation entre les acteurs politiques et administratifs et caractère rationnel de la mise en œuvre. Considéré sous cet angle l’approche « top-down » est équivalente à une approche linéaire-experte. Elle est conçue selon les points de vue des politiciens et des gestionnaires désirant qu’une situation particulière ou qu’un résultat déterminé survienne (Linder et Peter, 1927 : 462). Meny et Thoening (1989 : 23 5-236) relatent cet aspect en ces termes :

« Elle déroule la mise en œuvre comme une séquence linéaire en descendant du centre vers une périphérie. Le haut gouverne par la définition du sens ou des fins, et par le maniement de l’autorité. La base applique par conformité à la hiérarchie et par appropriation instrumentale. »

En se concentrant sur des variables manipulables au niveau central, Mattland (1995 146-147) prescrit ce qui suit pour une bonne application de l’approche Top-down : la clarté et l’évidence des buts et objectifs ; la nécessaire réduction du nombre d’acteurs ; la prise en compte de la limitation du volume de changements à opérer ; le choix d’une agence sympathique avec la politique publique pour porter la responsabilité de la mise en œuvre.

  1. une approche par le bas (bottom-up) qui se concentre sur les agents administratifs de base. Elle part du terrain.  Hassenteufel (2014) souligne que les analystes des politiques publiques « utilisant l’approche par le bas estiment que la politique est avant tout mise en œuvre par les acteurs de terrain qui interprètent les décisions au regard des situations qu’ils rencontrent auprès des bénéficiaires des politiques ». Dans cette approche, la mise en œuvre ne respecte pas totalement les ordres venant du sommet stratégique. Elle est un processus de négociation au cours duquel s’effectuent des modifications, des réajustements, une sélection et une adaptation des buts de la politique aux contraintes du terrain (Linder et Peters, 1987 : 469).  Le contenu de la politique dépend des résultats de l’agencement des intérêts sur le terrain lors de l’exécution de la politique. La mise en œuvre a « du même coup un caractère imprévisible et des conséquences inattendues peuvent surgir » (Graig, 1987 ;1994). Elle influence également l’environnement. Considérée sous cet angle, l’approche « bottom-up » ressemble à une approche participative impliquant, en dehors des acteurs institutionnels de droit, d’autres acteurs (agent de mise en œuvre au bas de l’échelle notamment, les groupes en présence) dont leurs actions auront une incidence sur le déroulement de la mise en œuvre (Liautaud, A. 2003).  Les stratégies des différents acteurs dans la poursuite de leurs objectifs (Sabatier, 1986 36, 38-39) et les interactions qui se développent entre eux (Lazin, 1995 : 266) conditionneront l’efficacité de l’approche « bottom-up ».

D’autres approches de mise en œuvre d’une politique publique existent. Il s’agit de la « mise en œuvre programmée », le « foward mapping », le « backward mapping », la « mise en œuvre adaptative »

  1. D’après Elmore (1980), le « foward mapping » postule que les concepteurs d’une politique publique contrôlent les processus organisationnel, politique et technologique qui affectent la mise en œuvre. Il en découle que la mise en œuvre est vue comme un processus d’exécution pouvant être contrôlé par les décideurs. Comme dans l’approche de la « mise en œuvre programmée », le « forward mapping » exige « la clarté et la précision des objectifs de la politique, la définition spécifique et séquentielle des attentes formulées à l’endroit des agents de mise en œuvre pour atteindre les objectifs fixés et la spécification des critères nécessaires à l’évaluation des résultats » (Liautaud, 2003).
  2. Le « backward mapping » consiste à identifier clairement le comportement à modifier au niveau inférieur, à décrire des procédures à répéter en vue de réaliser les changements nécessaires dans une direction allant de l’aval vers l’amont (Mattland, 1995 : 151). Il met en outre l’accent sur la dispersion du contrôle et sur les facteurs qui sont influencés indirectement par les concepteurs de politique tels : les connaissances et les capacités de résolution de problèmes des administrateurs au niveau inférieur, la structure des incitatifs, les relations de négociation entre les différents acteurs et l’usage des fonds pour affecter le pouvoir discrétionnaire (Elmore, 1980).
  3. La « mise en œuvre adaptative » est conçue comme un processus au cours duquel la politique peut être modifiée, spécifiée, révisée et adaptée selon le contexte dans lequel elle s’insère (Liautaud, 2003). L’existence d’objectifs généraux, la participation des acteurs clés dans les processus de prise de décision au cours de la mise en œuvre et l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire par les agents de mise en œuvre facilitent l’implantation de cette approche en raison du fait qu’ils facilitent l’adaptation de celle-ci aux contingences du milieu (Liautaud, 2003).

A l’analyse la « mise en œuvre programmée » et le « foward mapping » sont des approches dérivées de l’approche « top-down ». Le « backward mapping » et la « mise en œuvre adaptative » sont des variantes de l’approche « Bottom-up ». Il est aussi évident que toutes les approches induisent l’implication d’un ensemble d’acteurs dont les jeux expriment des divergences non seulement sur les objectifs à atteindre mais aussi sur les stratégies à mettre en œuvre au gré de leurs intérêts individuels et/ou collectifs.

  1. Les jeux d’acteurs et le changement

La mise en œuvre d’une politique publique fait intervenir des jeux d’acteurs individuels et collectifs qui peuvent créer apparemment une force d’inertie tant les changements sont lents et diffus. A ce sujet Jacob Hacker et Paul Pierson (2009) soulignent que les politiques publiques ne forment pas seulement un espace structurant la compétition politique (Policy as terrain) mais aussi l’objet central de celle-ci (Policy as prize) car permettant l’exercice de l’autorité.

Chevalier, J. (2005) ajoute « toute politique publique passe donc par des marchandages et des compromis dans lesquels s’englue l’ardeur réformatrice. Enfin, et plus profondément, la dépense en énergie entraînée par l’élaboration d’une politique nouvelle porte irrésistiblement à préférer les modifications à la marge, moins coûteuses : il s’agit davantage d’adapter et de corriger ce qui existe que de faire table rase du passé en construisant une politique radicalement différente. Les éléments d’innovation seraient ainsi réduits ».

C’est ce qui justifie l’approche des “petits pas” issue de l’incrementalisme de Lindblom (1959) « Policy is not made once and for all ; it is made and re-made endlessly. Policymaking is a process of successive approximation to some desired objectives in which what is desired itself continues to change under consideration » (p. 86).

Ainsi, le changement social et/ou institutionnel est au cœur de « la mise en œuvre » qui peut être définie aussi comme un processus social au cours duquel les acteurs font valoir leurs intérêts, leurs pouvoirs et leurs possibilités d’influence (Genieys, W. & Hassenteufel, P.  2012).

  1. Conclusion

Fort de ce qui précède, on ne peut opérer le changement par coups de décrets, circulaires et notes administratives sans tenir compte des acteurs du centre opérationnel, ces bureaucrates qui par « leur compréhension, leur interprétation et leur application des règles peuvent avoir un impact significatif sur la manière dont une politique est mise en œuvre en pratique ».

Dans le cadre d’une institution, comme le Ministère de l’Éducation Nationale et de la Formation Professionnelle (MENFP), la mise en œuvre d’une politique publique « consiste en une adaptation du programme politique et administratif aux situations rencontrées. Elle est généralement beaucoup plus complexe qu’elle ne le paraît à priori ; dans la mesure où il s’agit d’orienter le comportement des groupes-cibles soit directement, soit en agissant sur l’environnement de ces acteurs, par la contrainte, l’incitation ou encore la manipulation de symboles ou d’informations »[2].

Dans le cadre de l’écosystème éducatif haïtien caractérisé par une centralisation excessive au niveau stratégique avec une déconcentration vers les centres opérationnels géographiques, la mise en œuvre de la politique nationale d’évaluation des apprentissages devra utiliser un ensemble éclectique de stratégies dans une perspective de complémentarité tout en ayant la loi, la culture de l’organisation et les pratiques administratives comme référentiels d’action.

Références Bibliographiques

Elmore, R. F. (1979). Backward mapping: implementation research and policy discussions. In Political Science Quarterly, 94(4), 601-616.

HACKER, P., PIERSON, P. (2009), « The Case for Policy-Focused Political Analysis », communication à l’APSA.

Graig, J. (1987). Implementing educational policies in sub-Saharan Africa. A review ofliterature. Washington D. C. World Bank.

Graig, J. (1994). Comparative African experiences in educational policies. World Bank Discussion Papers. Washington D. C. World Bank.

Hassenteufel, P. (2008).  Sociologie politique : l’action publique, Paris, Armand Colin, coll. « U Sociologie » 2008.

Liautaud, A. (2003). Cadre conceptuel pour l’étude de la mise en œuvre des politiques en éducation. Document inédit.

Linder, H. S. & G. B. Peters. (1987) A design perspective on policy implementation: the fallacies of misplaced prescription. In Policy Studies Review, 6(3), 459-4 75

Matland, R. E. (1995). Synthesizing the implementation literatures: The arnbiguity conflict mode! of policy implementation. In Journal of Public Administration Research and Theory, 2(2), 145-174.

Meny, Y. & Thoenig, J-C (1989). Politiques publiques. Presses Universitaires de France.

Van Meter, D. S. and C. E. Van Rom. (1975). The policy implementation process A conceptual framework. In Administration and Society, 6(4,), 445-488.

William, G. & Hassenteufel, P. (2012).  Comprendre le changement dans les politiques publiques ? L’approche programmatique.

[1] http://www.foad.uadb.edu.sn/mod/book/view.php?id=101310

[2]https://www.institut-destree.eu/wa_files/waldeal_basilio-napoli_nouvelle-conception-politiques publiques_2018-11-06.pdf

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