Commission Municipale d’Éducation : Le rôle de la commune dans le système scolaire – Une vue comparative en guise de contextualisation

Par Guy Serge POMPILUS & Roller SAINT PIERRE

La décentralisation est le processus à travers lequel l’Etat central transfère une partie de ses pouvoirs aux collectivités territoriales (département, région, commune…). Toutefois, il importe de souligner que ce processus n’est pas toujours le fruit de pressions auxquelles l’Etat central aurait été soumises, mais peut également s’inscrire dans un cadre légal. Historiquement, la décentralisation dans l’éducation s’est véritablement imposée dans certains pays européens vers le début du 21e siècle, mais dès la fin du 20e siècle les premiers signes commençaient déjà à se manifester.

Dans le cadre de cet article, en vue d’avoir une meilleure compréhension du processus de la mise en place des CME, il est important de comprendre comment d’autres pays ont impliqué la commune  en matière de gestion de leur système scolaire  à travers la décentralisation.

La décentralisation de l’éducation en France

Olivier Rey (2013) rapporte que  jusque vers la fin du 20e siècle, la France était encore considérée  comme le modèle par excellence de l’Etat centralisé en matière d’éducation. L’Etat français s’est fait éducateur, de Napoléon à Jules ferry pour garantir le maintien d’un ordre précis, l’ordre républicain national contre les désordres locaux. L’auteur affirme que le premier président de la Vème république, Charles de Gaule, était porteur d’un projet politique qui prévoyait que l’école soit un outil solidement piloté par l’état ; et d’après lui, si la décentralisation a été entamée en France, dans les années 1960, c’était surtout pour alléger la lourdeur du fonctionnement étatique et permettre l’expression de l’autorité du pouvoir central au cœur des académies.

Selon Lelièvre[1] (2008), ce n’est que dans les années 1980 que le processus décentralisation de l’éducation commence effectivement à se matérialiser en France.  Des interlocuteurs étatiques locaux étaient alors désignés comme Représentants des collectivités territoriales et ont  hérité en même temps de nouvelles responsabilités. Le lancement de la politique de Zones d’Éducation Prioritaire (ZEP) par le Ministre de l’éducation (Alain Savary) de 1981 aurait pu être interprété comme signe avant-coureur de la phase du processus de décentralisation des années 1980, mais il faut noter qu’au début la ZEP n’a jamais fait l’objet d’un cadre légal.

Peu après, sous la pression du Ministère de l’intérieur français et de Gaston Deferre, une série de lois seront adoptées en vue de la régularisation de la décentralisation de l’éducation- dont notamment les lois de1983 qui organisent le partage bien connu qui entre en application en 1986. Les départements et régions sont devenus respectivement responsables des opérations de construction, reconstruction, extension et réparation des collèges et des lycées, dont ils assurent l’équipement et le fonctionnement. La conception de l’éducation comme mission partagée s’affirme dans les années 1990, notamment dans les contrats éducatifs locaux (Gauss, 2013) dans lesquels les face-à-face avec l’administration de l’éducation cèdent la place à une plus grande ouverture aux administrations déconcentrées, sous l’égide du préfet de manière formelle.

La loi du 13 Aout 2004 a introduit, d’après ce que rapporte O. Rey, la deuxième phase du processus de décentralisation de l’éducation. Cette loi a été surnommée l’acte II de la décentralisation. En 2011, une autre action très importante sera posée sur la base d’une loi portant sur la refondation de l’école ou  acte III de la décentralisation. Laquelle  a été concrétisée par l’actualité parlementaire – incontestablement marquée par l’engagement croissant des collectivités territoriales sur la question éducative.

La décentralisation de l’éducation au Burkina-Faso

Au Burkina-Faso, la décentralisation de l’éducation va jusqu’aux villages. On n’y parle pas de commission municipale scolaire, mais on parle de conseils villageois de développement. Via ce conseil et certaines autres entités mises en place par l’état central, la commune peut mener et organiser des campagnes de sensibilisation pour la scolarisation des enfants et particulièrement pour la scolarisation des filles. Organiser des concours pour récompenser les meilleurs encadreurs pédagogiques, enseignants et élèves des circonscriptions d’éducation. Toutes ces responsabilités de la commune entrent bien sûr dans un cadre strictement légal. Le dispositif juridique de base qui consacre l’effectivité de la décentralisation dans le secteur de l’éducation de base est constitutif de textes de loi, de décrets, et d’arrêtés ; au titre de ces textes, nous pouvons citer :

  1. Le Décret n0 2009-106/ PRES/PM/MEBA/MASSN/MEF/MATD/MFPRE du 3 mars 2009, portant transfert de compétences et de ressources de l’Etat aux communes dans les domaines du préscolaire, de l’enseignement primaire et de l’alphabétisation; ii) Décret n0 2009-109/ PRE/PM/MFPRE/MATD/MEF du 3 mars 2009, portant modalité de mise à disposition des agents de la fonction publique auprès des collectivités territoriales et de gestion de leur carrière  et iii) Arrêté interministériel n0 2009-022/MATD/MEF/MEBA/MASSN portant protocole-type d’opérations entre l’Etat et les communes dans le cadre du transfert de compétences et de ressources de l’Etat aux communes dans les domaines du préscolaire, de l’enseignement primaire et de l’alphabétisation.

La décentralisation de l’éducation en Colombie

Dans le cas de la Colombie, le problème de départ a été la capacité de rétention du système éducatif au-delà de la cinquième année de scolarisation. Le but des réformes conduisant à la décentralisation a été l’amélioration des services au niveau local au plan de la couverture territoriale et au plan qualitatif dans un souci d’accroitre la participation démocratique, d’augmenter l’effort de taxation et d’avoir une meilleure gestion du système.

 

La municipalisation des services a marqué la période 1986-1990 et a constitué une réponse appropriée à une forte demande d’autonomie administrative et politique. La première étape a été une phase de déconcentration par le transfert vers les Mairie d’une partie des ressources provenant de l’équivalent de la taxe sur le chiffre d’affaires (TCA). Parallèlement les municipalités prenaient en charge la gestion des personnels et la préparation des budget relatifs aux dépenses non salariales.

 

La promulgation de la Charte sur la Départementalisation de 1991 et de la Loi 60 de 1993 permet aux communes de plus de 100000 habitants de gérer leurs propres ressources fiscales. La Loi 715 de 2001, met en place un système d’incitations financières basé sur les résultats. Les compétences des différents niveaux sont réparties de la façon suivante : au gouvernement central, la responsabilité de formuler les politiques publiques et de préparer les critères techniques de distribution des ressources ; les départements fournissent l’appui technique aux territoires, ont à charge le système de gestion de l’information sur l’éducation (SIGE) et supervisent le travail des entités décentralisées. Les districts et les municipalités de plus de 100 000 habitants assurent les services sur leurs territoires respectifs et gèrent les ressources humaines, physiques et financières affectées.

 

La décentralisation de l’éducation au Québec

Au Québec, la loi sur l’instruction publique définit un ensemble de fonctions et de responsabilités pour la commission scolaire (article 208 à 301) et identifie clairement une mission pour l’établissement (article 36). L’absence de définition claire au regard de la commission scolaire a laissé libre cours depuis la mise en vigueur du projet de loi 180 de 1998 à des interprétations quant aux pratiques  des rôles et responsabilités de chacun (Ministère de l’éducation, et du loisir,  commission scolaire et établissement).

En effet, depuis leur création en 1845, elles ont connu des multiples transformations comme la mise en place des commissions scolaires communes, confessionnelles et dissidentes, puis des commissions scolaires régionales responsables de l’enseignement secondaire.

La commission scolaire constitue ainsi, une véritable institution politique locale possédant les attributions d’un gouvernement décentralisé. Sa mission première est de s’assurer que la population de son territoire reçoive les services éducatifs auxquels elle a droit. La commission scolaire constitue donc un gouvernement local : Doté d’une vie politique, Ayant un pouvoir de taxation, Ayant juridiction sur un territoire propre, Ayant l’obligation d’organiser les services éducatifs sur son territoire, responsable devant la population locale par l’élection des commissaires au suffrage universel. Ces pouvoirs conférés par la loi sur l’instruction publique.

La commission scolaire est mandatée pour organiser l’éducation préscolaire, les services éducatifs de formation générale primaire et secondaire, et de formation professionnelle pour les adultes. Elle a également mandat de développer des services de formation sur mesure adaptée aux besoins des entrepreneurs et de fournir de l’aide aux entreprises. La commission scolaire se voit alors accorder une mission d’une importance cruciale qui se situe au cœur même du développement de toute collectivité.

La décentralisation de l’éducation en Haïti (Clin d’œil)

En Haïti, la décentralisation du système éducatif peut se situer au niveau de la déconcentration des tâches de l’administration centrale par le niveau administratif local[2]. Cependant, dans l’inventaire du cadre juridique portant sur le secteur de l’éducation établi dans le Plan Opérationnel 2010-2015, sur la question de la décentralisation, les lois suivantes sont citées :  i)La dernière loi organique véritable du MENJS du 23 Octobre 1984 ; ii) le décret du 5 juin 1989 adaptant les structures organisationnelles du MENJS aux nouvelles réalités sociopolitiques et iii) le décret de mars 1985 relative à l’organisation la formation professionnelle.  Ces textes légaux traduisent la vétusté de l’arsenal légal en matière d’éducation, en Haïti, en matière de transfert de pouvoir vers les communes.

L’expression « Municipalisation de l’Éducation »  est apparue pour la première fois dans notre environnement en  2010 Dans le rapport du GTEF. Ce dernier,  dans le cadre d’une gouvernance générale du secteur de l’éducation prescrit, entres autres aspects, la restructuration du Ministère de l’Éducation Nationale et de la Formation Professionnelle (MENFP) en ces termes :

«  La restructuration du MENFP doit faire place à une innovation majeure demandée par tous les acteurs : de la municipalisation de l’éducation de base par un transfert de compétences et de pouvoirs du niveau central aux municipalités. Ce transfert de compétences devrait s’opérer graduellement et concerner dans un premier mouvement l’éducation préscolaire (petite enfance) et les deux premiers cycles du Fondamental » (GTEF, 2010. P.185).

Le concept Commission Municipale d’Éducation (CME) apparait pour la première fois dans le plan opérationnel 2010-2015 endossé, en 2012, par le Ministre Vanneur Pierre. (PO, 2012. P. 44).  L’axe 1 de la gouvernance et l’objectif 1(renforcer les structures centrales et départementales) définissent les rôles, attributions  et le champ de compétences des CME. Par la suite, des institutions (des OING ou des ONG pour la plupart) comme ADEMA dans le Nord-Ouest, CARE ou encore l’organisation multilatérale UNICEF, pour ne citer que celles-là, ont fait de véritables expérimentations qui méritent d’être analysées scientifiquement avant toute nouvelle avancée.

Quatre leçons doivent retenir notre attention à partir des cas de décentralisation évoqués : (1) la décentralisation est une réponse en acte à des problèmes d’efficacité des services éducatifs ; (2) La décentralisation de l’éducation est solidement encadrée par des textes légaux qui en précisent les contours et les modalités de redéfinition des compétences de chaque niveau. Ces textes peuvent concerner toute l’administration publique ou être spécifiques au secteur ; (3) la mise en œuvre de la décentralisation n’est pas linéaire. Elle comporte des étapes et des ajustements successifs permettant une insertion optimale dans l’écosystème national ; et enfin (4) les aspects financiers représentent des enjeux importants qui décident de l’échec ou de la réussite de l’initiative de décentralisation.

Guy Serge POMPILUS & Roller SAINT PIERRE

Bibliographie sélective

  1. Boussé, G. (2011). Recherches transnationales : décentralisation et en Afrique du Sud et du Centre : apprendre des expériences locales et intersectorielles : éducation, eau, santé, Rapport final.
  2. Extrait du cahier des procès-verbaux de la commission scolaire municipale pour l’année scolaire 1882-1883. Archives de la commune Saint-Georges-des-Agout, déposés aux archives départementales, site de Jonzac (E Dépôt 241/359).
  3. Groupe de Travail sur l’Éducation et la Formation (GTEF, 2010). Pour un pacte National pour l’Éducation. Rapport au Président de la Président de la République. Port-au-Prince. Haiti.
  4. IHFOSED/DPECPV, Etude sur la problématique de l’éducation dans la commune de Pétion-Ville: Rapport préliminaire, juin 2009.
  5. Fédération des commissions scolaires du Québec (2008). L’expertise et la compétence au service de tous les élèves et du système public de l’éducation. Bibliothèque national du Québec.
  6. Lelievre, C. (2007). « Etat éducateur et déconcentration administrative ». carrefour de l’éducation, vol. 2 No 26, p. 41-50.
  7. Olivier, R. (2013). « Décentralisation et politiques éducatives ». Dossiers d’actualité veille et analyses IFE-ENS de Lyon no 83.
  8. République d’Haïti, MENFP (2010). Vers la refondation du système éducatif haïtien, Plan opérationnel 2010-2015. Des recommandations de la commission présidentielle, éducation et formation. Port-au-Prince.
  9. République d’Haïti, MENFP (2012). Plan opérationnel 2010-2015. . Port-au-Prince. Haïti.

[1] Cité par Olivier Rey

[2] Olivier Rey

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