Formation des citoyens numériques : une urgence en Haïti

On pourrait voir un citoyen numérique comme une personne qui aurait la capacité de s’adapter à une société numérique en constante évolution, tout en ayant un comportement responsable face à l’utilisation des technologies.

Parlant de ces dernières, le virage d’une société analogique à une société numérique a changé les pratiques. Aujourd’hui, plus besoin d’une cassette audio avec bande magnétique comme support de stockage pour enregistrer du son. Autrefois, il fallait bien maitriser les codes des langages de programmation pour créer un site. C’était la belle époque où les informaticiens, les codeurs (programmeurs) étaient des maitres, ceux qui savaient tout (Claire, 2002). Au XXIème siècle, sans pour autant être informaticien, une bonne majorité de gens peut télécharger des logiciels /applications, créer des blogues, des wikis et des diapositives, participer à des rencontres virtuelles en utilisant des plateformes web, s’inscrire à des MOOC[1] pour être formé à distance, former des communautés d’apprentissages en réseau, acheter en ligne, etc.

En faisant abstraction de la fracture numérique existant en Haïti, trois éléments[2] sont indispensables à développer par tout citoyen numérique :

  1. Exploiter la communication numérique (partage des informations électroniques)

L’accès à l’information et le mode de communication changent : tout devient plus facile et plus près en un clic. Les courriers électroniques, le clavardage, la communication dans le cloud sont autant de façon d’échanger des informations. En considérant la technologie du Web social[3], du moins, le web 2.0, depuis quelques années, c’est devenu une grande mode, mais en même temps, important pour créer sa visibilité numérique. Pouvoir utiliser, entre autres, Twitter, Facebook, LinkedIn, Youtube et Instagram est un exploit pour plus d’un à l’ère actuelle. Dans un article publié dans Le Nouvelliste du 19 février 2019, il est relaté que : « les écoles ont eu recours aux groupes WhatsApp durant les deux semaines peyi lòk[4] pour envoyer les devoirs et leçons aux élèves ». Une stratégie qui semble logique pour permettre aux élèves de continuer leurs tâches scolaires tout en étant chez eux. Mais en même temps, on doit se demander i) Est-ce la résultante d’une stratégie d’intégration du numérique dans ces écoles ? ii) Est-ce un effet de mode ? iii) quels sont les effets sur les apprentissages réels des élèves ? En fait, ce mode de partage d’informations n’a du sens que s’il s’inscrit dans une politique de communication numérique de l’école qui généralement prévoit des moments d’évaluation formative avant.

  1. Maitriser la littératie numérique (enseignement et apprentissage des outils technologiques)

En ce qui a trait à la littératie numérique, les jeunes qui ont grandi avec les technologies numériques, communément appelés « natifs du numérique” (Prensky, 2001) sont vus comme une catégorie qui est « à l’aise » avec les outils numériques. Tandis que les « immigrants du numérique » connus comme des nouveaux utilisateurs de ces outils sont souvent considérés comme des incompétents. On doit considérer cette façon de voir comme

 

une présomption. En effet, plusieurs expériences confirment que les natifs ne sont pas aussi doués en la matière pas avant qu’ils soient formés. Ce qui pourrait jouer en leur faveur, c’est la facilité d’adaptation aux nouveaux gadgets électroniques, leur ténacité, leur curiosité et leur passion à l’usage des technologies. Ils manipulent des ordinateurs, tablettes, consoles de jeu et téléphones intelligents de plus en plus et se sont connectés à internet à une fréquence assez régulière. Toutefois, leur mode d’utilisation est souvent remise en question par le fait que ces technologies ne sont pas forcément utilisées de façon appropriée dans une perspective d’acquisition et de coconstruction de connaissances pour leur développement personnel et professionnel. La maitrise des outils de recherches (Bases de données, encyclopédies en ligne, les moteurs de recherche, etc.) pour repérer, filtrer et évaluer les informations et les savoirs provenant de sources et de perspectives diverses, puis les diffuser et les partager avec d’autres, constitue les fondements de l’acte d’apprendre à l’ère numérique (Carré et Jeunesse, 2013).

  1. Agir comme des responsables (droits et devoirs pour une utilisation éclairée des technologies)

Cacher derrière l’anonymat et se connecter à internet sous une fausse identité sont autant de comportements irresponsables de l’internaute. Tout le monde est libre de publier et ainsi laisser son « empreinte numérique » sur le web, mais l’équilibre entre la liberté d’expression et le respect du destinataire reste encore un défi en Haïti. Vu que, jusqu’à présent, en ce XXIe siècle, aucune loi n’a été votée pour établir les balises et définir le comportement acceptable qu’un citoyen numérique est supposé adopter, l’e-réputation et l’identité numérique de chaque citoyen sont beaucoup plus faciles à manipuler dans le mauvais sens. Un mélange du privé et du public, du vrai et du faux, de l’élégance et du vulgaire … bref, un monde numérique où tout se dit, tout s’affiche, tout est permis, tout devient la norme. Certains sont conscients de ce qu’ils partagent. D’autres ignorent que même si l’information publiée est supprimée, elle est encore disponible dans le cyberespace.

 

Former des citoyens numériques capables de vivre dans ce monde saturé de technologies doit commencer dans les écoles et les familles. Il serait souhaitable que dans les programmes scolaires soit inscrit un cours « citoyenneté numérique » pour une sensibilisation des impacts négatifs potentiels des technologies sur autrui et l’apprentissage des règles d’usage numérique si on veut construire une société numérique responsable qui puisse s’adapter à cette mutation technologique.  En somme, parmi toutes les urgences qu’on pourrait penser que ce pays puisse avoir, former ses citoyens à l’usage du numérique en est certainement une.

 

Sherly AMBROISE

Technologue de l’éducation sherlyambroise@gmail.com

 

Bibliographie

Carré, P., & Jeunesse, C. (2013). Renforcer l’autoformation : aspects sociaux et dimensions pédagogiques. Chronique sociale.

Isabelle, C. (2002). Regard critique et pédagogique sur les technologies de l’information et de la communication.

Chenelière/McGraw-Hill.

Millerand, F., Proulx, S., & Rueff, J. (Eds.). (2010). Web social : mutation de la communication. PUQ.

Prensky, M. (2001). Digital natives, digital immigrants part 1. On the horizon, 9(5), 1-6.

Ribble, M., & Thonnard, K. (2014). Citoyenneté numérique à l’école. Editions Reynald Goulet.

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[1] Un MOOC (Massive Open Online Course) ou FLOT (Formation en Ligne Ouverte à Tous), aussi appelée CLOM (Cours en Ligne Ouvert et Massif), est un type ouvert de formation à distance capable d’accueillir un grand nombre de participants. [En ligne]. Consulté le 05 mars 2019 sur https://fr.wikipedia.org

[2] Ces trois éléments ont été choisis parmi les neuf cités par (Ribble et Thonnard, 2014).

[3] Cette expression désigne, d’une part, l’émergence de nouveaux dispositifs numériques indissociables de l’évolution d’internet, et d’autre part, le développement d’usages originaux médiatisés par ces dispositifs et centres sur la participation active des usagers dans la production et la diffusion des contenus circulant sur la Toile (Proulx et Millerand, 2010).

[4] Une expression qui existe à peine dans le lexique socio politique et militantiste haïtien. Conçue comme une forme de réponse à la situation de vie précaire du peuple haïtien, cette notion se veut l’apanage du secteur démocratique et populaire et de l’ensemble de l’opposition politique. [En ligne]. Consulté le 05 mars 2019 sur : http://www.balistrad.com. Par ailleurs, le Peyi lòk a duré 10 jours. Le Ministère chargé de l’éducation nationale a dû modifier le calendrier scolaire pour tenir compte des heures et jours de classe perdus.

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