L’intérêt de la créativité en didactique des langues, du Français Langue Étrangère (FLE) en particulier.

Par Salomon JEAN-CHARLES

Introduction.

« Parler est en soi un acte créatif puisque nous varions à l’infini notre discours au moyen d’un nombre fini de mots et de structures dans des situations jamais identiques. Pour donner forme à nos intentions et nos idées, nous combinons des stratégies verbales, non verbales, nous imaginons des métaphores, des images, des analogies, nous utilisons l’humour et surtout des histoires. Nous avons tous, un jour ou l’autre, fait cette expérience paralysante et frustrante de ne pas pouvoir inventer, improviser, jouer avec nos idées dans une langue que nous ne parlons pas assez bien. Maîtriser de mieux en mieux une langue c’est devenir de plus en plus créatif dans cette langue, l’un n’étant pas la conséquence de l’autre, mais les deux se renforçant dans une boucle rétroactive » (Aden, 2009, p.174). Le concept de « créativité » évoqué par Joëlle Aden dans son article intitulé La créativité artistique à l’école : refonder l’acte d’apprendre met en lumière l’acte de parler, en d’autres termes, de communiquer, en tant qu’acte créatif. En effet, il est possible d’affirmer que communiquer, « se mettre en commun » selon Jacquard (1997, p. 16), consiste principalement à créer afin de susciter l’attention de l’autre dans le dessein de le captiver par ce que l’on énonce. À cet effet, on recourt à des mots, des expressions et des niveaux de langage variés permettant à l’interlocuteur de se sentir concerné et visé par l’activité.

C’est dans cette perspective linguistique que R. Galisson et D. Coste (1976) soutiennent que la créativité est la « faculté de créer et de comprendre des énoncés nouveaux ». D’un point de vue psychologique, ils définissent la notion comme étant l’« éveil et mise en place de dispositions naturelles pour l’accomplissement d’un acte créateur » (pp. 135-136). Ainsi, il est possible de constater dans les deux approches, celle de J. Aden et celle de Galisson et Coste, que « créer » est une composante fondamentale pour toute expérience de la vie. Cela suscite donc une interrogation sur le rôle et l’importance de la créativité en didactique du FLE. Fort de ce constat, il convient de se demander : en quoi cette notion occuperait une place prépondérante dans l’enseignement-apprentissage du FLE ?

Pour tenter d’apporter une réponse à cette problématique, nous nous proposons d’étudier, dans un premier temps, l’importance de la créativité dans l’enseignement-apprentissage du FLE dans la mesure où elle aide, d’une part l’enseignant à varier son approche pédagogique lui permettant de placer l’apprenant au centre de l’apprentissage, et de l’autre part l’apprenant à développer ses compétences linguistiques. Ensuite nous nous intéresserons à l’application de la créativité en classe de FLE en nous fondant sur l’approche des jeux.

De prime abord, la créativité s’affirme en classe de FLE comme une approche pédagogique fondée sur la communication. En effet, la dynamique communicationnelle entre les apprenants, et même entre l’enseignant et ses apprenants, crée une ambiance créative permettant de « […] créer des énoncés dans des cadres thématiques et situationnels […] (Galison R., Coste D., idem.) ». En ce sens, la tâche communicative, mettant l’accent sur la dimension pragmatique de la communication (Ellis, 2003, pp. 4-5), incite l’apprenant comme l’enseignant à avoir recours à des stratégies leur permettant de diversifier leurs approches. Pour reprendre les propos de J. Aden, la créativité devient « un processus transformateur » où le créateur se transforme et transforme par la suite ses rapports avec son environnement.

Dans cette même perspective, O. Rey et A. Feyfant (2012) affirment qu’avec la créativité « il s’agit bien alors de créer pour innover ou d’innover de façon créative » (p. 1). Ce qui revient à comprendre que créer de nouvelles approches permettront non seulement d’innover ses relations avec autrui, mais également d’instaurer une dynamique d’innovation au sein de ces relations. Ainsi, la créativité communicative peut être conceptualisée à travers les termes de Legendre qui la décrit comme l’« attitude que quelqu’un manifeste lorsqu’il rompt avec la façon habituelle de penser » (cité dans Barbone, 2011, p. 5). Nous pouvons donc observer que pour se départir de la routine quotidienne, il est nécessaire de mobiliser des actes et des comportements nouveaux ou créatifs favorisant l’accès à l’expérience souhaitée.

En guise d’illustration à l’approche communicative de la créativité, nous pouvons nous référer aux travaux de C. Puren (2004). Selon lui, la communication ou l’approche communicative étant d’abord une approche « qui se propose d’englober tous les domaines » (p. 5) met en évidence « la grammaire (dans la composante « linguistique »), du lexique (dans la composante « référentielle ») et de la culture (dans la composante « socioculturelle ») » (Ibid.).

De ce fait, force est de constater que cette approche est inhérente à l’approche actionnelle du Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues (CECRL, 2001) :

[…] les stratégies sont le moyen utilisé par l’usager d’une langue pour mobiliser et équilibrer ses ressources et pour mettre en œuvre des aptitudes et des opérations afin de répondre aux exigences de la communication […]. (p. 48).

De là, il est aisé de comprendre que les stratégies évoquées permettent de mettre en équilibre les connaissances linguistiques acquises dans un contexte donné. Pour ce faire, la communication, qu’elle soit orale ou écrite, se présente comme l’unique moyen pouvant favoriser la mise en pratique de ces connaissances.

Il nous importe alors de saisir qu’en classe de FLE, l’enseignant n’est pas celui qui monopolise la parole ; pour être plus précis, cette faculté n’est pas limitée au pouvoir d’une seule personne. Ainsi, la classe est un lieu d’enseignement-apprentissage où l’enseignant assume et assure le rôle de guide dans le processus d’apprentissage de ses apprenants. Son rôle primaire est de permettre à l’apprenant d’être l’acteur numéro un de son apprentissage, non pas en lui imposant des consignes, mais en étant pour lui une source de motivation extrinsèque. Pour ce faire, l’enseignant est amené à créer et inventer des activités visant à maintenir la vivacité de la classe. À cet égard, Cros soutient que les apprenants reçoivent

[…] une partie de transmission autre que celle de l’imitation, mais bien dans la construction chez l’autre de compétences nouvelles acquises par des voies différentes liées au langage ou à l’écriture sur la pratique, dans des situations d’échanges et d’analyses variées. (Cros, 2007, p. 8).

Nous pouvons observer que l’imitation est un facteur majeur suscitant la créativité des apprenants. Dans cette perspective, le philosophe Beaudot (1974) affirma qu’« il n’y a qu’une méthode pour inventer, qui est d’imiter » (p. 125). Ceci permet de comprendre que l’imitation peut être considérée comme le point de départ conduisant à la créativité, car nous apprenons « en observant et en tentant de reproduire » (De Vicchi G., Carmona-Magnaldi N., 1996, p. 264). Ainsi, il est donc possible d’affirmer que la créativité par le biais de l’imitation constitue un facteur important que les enseignants doivent particulièrement prendre en considération. D’autant plus qu’elle favorise la « pensée créatrice » considérée dans le nouveau Plan d’Etude Romand (PER)[1] comme une « capacité transversale » où l’enseignant se retire de l’attention de la classe pour laisser régner l’imagination, l’innovation et l’aspect créatif des apprenants. Il s’agit notamment d’une faculté poussant les élèves à découvrir, à questionner et à mettre en doute. Ainsi, elle s’éveille chez eux, non pas en récitant les théories des différentes notions apprises, mais par la pratique et l’importance accordée à leur innovation.

Finalement, il est également impératif de comprendre que la créativité permet à l’apprenant de développer son autonomie et l’acceptation de ses erreurs. En effet, un élève créatif est un apprenant qui participe activement aux différentes activités proposées en classe. Cette propension à s’engager découle principalement de la motivation intrinsèque qui s’accroît chez ce dernier en lui permettant de se responsabiliser et de se porter volontaire pour transformer son processus d’apprentissage. Dans cette optique, Aden (2008) affirma que « la motivation intrinsèque prend naissance dans les besoins de l’individu, comme la curiosité, l’envie de s’exprimer à travers une production » (cité par Juillet R., 2019, p. 28). Nous pouvons facilement remarquer que cette curiosité orientée vers la production est directement liée à la créativité, considérée comme une « aptitude à assembler, à combiner des éléments divers pour composer quelque chose qui n’existait pas avant, et pour réaliser des activités ou des œuvres inédites […]. » (Bellanger & Pigallet, 1996, p. 80). Ce qu’il faut surtout comprendre de ce point de vue, c’est le processus du tâtonnement que l’assemblage des différents éléments requiert. Autrement dit, « créer c’est tâtonner. C’est accepter de trébucher, de tomber, de recommencer » (Juillet R., 2019, p. 29).  Cela revient à considérer que l’erreur dans le processus de création forge l’autonomie et la souplesse d’esprit de l’apprenant. Ainsi, l’apprenant créatif, autonome et responsable apprend de ses erreurs en se focalisant sur la finalité des activités.

Si la créativité se veut une pédagogie permettant à l’enseignant de motiver sa classe et à l’apprenant d’être autonome, créatif et responsable, elle requiert un ensemble de pratiques mises en place par l’enseignant : les jeux. En effet, la créativité en classe de FLE s’exprime à travers le jeu, précisément à l’oral, permettant à l’apprenant de développer sa prise de parole dans des situations variées. Dans son œuvre intitulée Homo Ludens (1954), l’historien hollandais Johan Huizinga affirme que « Le jeu opprime et libère, le jeu entraîne, électrifie, ensorcelle » (p. 24). Ainsi, il est considéré comme un facteur crucial pour aider l’apprenant en classe de FLE à exprimer sa créativité.

Avec le théâtre, celui-ci se positionne dans une « démarche de communication qui n’est pas artificielle, comme peuvent l’être les “mises en situation” de certains cours de langue traditionnels » (Marie-Laure, 2005, p. 2). Cela lui permet de mettre en pratique les notions de communication apprises et d’être actif en valorisant sa capacité à s’exprimer dans la langue. Dans cette perspective, la prise de parole n’est pas monopolisée par l’enseignant, puisque « chacun abandonne son rôle social et institutionnel respectif dans le seul but de travailler la langue par un texte de théâtre » (Benhammoud, 2010, p. 177). Cela permet à l’apprenant de se mettre au-devant de la scène en pratiquant son autonomie, en renforçant sa confiance en soi et en perfectionnant sa pratique orale.

La créativité en classe de FLE s’exprime également à travers du jeu d’écriture ou d’orthographe, contribuant à l’amélioration de l’expression écrite et de l’orthographe de l’apprenant. Il n’est pas nécessaire d’imposer à l’élève des exercices de productions pour qu’il progresse dans son expression écrite et son orthographe. Cette pratique risque de le fatiguer, de le rendre apathique, paresseux et de constituer un obstacle à son apprentissage. Dans cette optique, nous estimons que la salle de classe doit être non seulement un environnement favorable à l’apprentissage en matière de gestion, mais également un lieu favorisant la créativité à travers la nature des activités. De ce fait, l’élève doit procurer du plaisir à produire dans la langue et à bien orthographier les mots. À cet égard, nous soutenons que le jeu d’écriture créative représente un moyen permettant à l’apprenant d’être innovant et performant en rédaction.

Selon les recherches de Stéphanie Bara, Anne-Marguerite Bonvallet et Christian Rodier (2011) la pratique d’écriture créative

[…] a pour vertu de déplacer l’objet de l’apprentissage : les participants n’écrivent plus pour apprendre, pour être évalués par le professeur, pour passer un test ou un examen mais bien pour prendre du plaisir. L’atelier les emmène dans une Fonction du langage que le linguiste Roman Jakobson nomme « poétique », où la forme du texte devient l’essentiel du message. (p. 3).

Cette démarche vise à former des élèves capables de pratiquer le français de manière ludique et créative. L’écriture devient une acticité procurant du plaisir plutôt que de la frustration, car elle permet aux apprenants de s’autocorriger et de progresser à partir des erreurs commises.

Pour conclure, la créativité a un intérêt capital dans l’enseignement-apprentissage du FLE. Elle contribue d’abord à dynamiser la classe et à motiver les apprenants à progresser dans leur apprentissage. Ensuite, elle les aide à développer leur responsabilité et à devenir autonome, et ludique. En outre, son application en classe de FLE permet à l’apprenant de prendre plaisir à s’exprimer dans la langue et à développer ses compétences écrites. De la sorte, l’apprenant cultive le désir de s’exprimer et la nécessité d’écrire. Ainsi, la créativité ne se voit pas comme un objectif mais comme un outil mettant en évidence la performance et l’innovation des élèves.

Bibliographie

Œuvres critiques.

Bara S., Bonvallet A., Rodier C., (2011). Écritures créatives. Grenoble : Presses Universitaires de Grenoble.

Barbone, R., (2011). À l’origine du terme créativité, Prismes, 15, 5.

Beaudot, A. (1974). La créativité à l’école. Paris : Presses Universitaires de France.

Bellanger, L., Pigallet, P., (1996). Dictionnaire de la formation et du développement personnel : à l’usage des formateurs et des enseignants. Paris : ESF.

Benhammoud, M., (2010). « Une classification des jeux dans une perspective d’apprentissage de FLE ».

Conseil de l’Europe. (2001). Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues : apprendre, enseigner, évaluer. Paris : Didier.

Cros, F. (2007). L’agir innovationnel. Entre créativité et formation. Bruxelles : De Boeck.

Galisson R., Coste D., (1976). Dictionnaire de didactique des langues. France, Paris : Hachette.

Huizinga J., (1954). Homo Ludens. Alianza Historia. Madrid 2004.

Jacquart A., (1997). Petite philosophie à l’usage des non-philosophes. France, Paris : Calmann-Lévy.

Articles.

Aden J., (2009). « La créativité artistique à l’école : refonder l’acte d’apprendre » revue Synergies Europe n° 4, pp. 173-180. [En ligne]. http://gerflint.fr/Base/Europe4/aden.pdf (dernière consultation le 12.12.2022).

Maisonneuve, Marie-Laure, (2005). « 5 questions à… Joëlle Aden : des cours d’anglais sur scène », Vousnousils magazine, p. 2. [En ligne]. http://www.vousnousils.fr/2005/07/01/5-questions-a-joelle-aden-des-cours-danglais-sur-scene-243170 (consulté le 12. 12. 2022).

Puren C., (2004). « L’évolution historique des approches en didactique des langues-cultures, ou comment faire l’unité des unités didactiques ». [En ligne]. www.mayeticvillage.fr/UJMrechercheFLE  (consulté le 12.12.2022).

Rey O., Feyfant A., (2012). « Vers une éducation plus innovante et créative ». Dossier d’actualité, Veille et Analyses, n°70, janvier. En ligne : http://ife.ens-lyon.fr/vst/DA/detailsDossier.php?parent=accueil&d ossier=70&lang=fr

Mémoire.

Juillet R., (2019). L’école de la créativité : pourquoi et comment développer la créativité des élèves au cycle 1?. Éducation. 2019. ffdumas-02298789f

[1] Plan d’Etudes Romand (http://www.plandetudes.ch/web/guest/capacites-transversales1#crea, 2013).

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