Résumé : Cet article présente et analyse le fonctionnement du Conseil d’administration (CA) du Fonds National d’Éducation (FNE) en Haïti, en partant des récentes critiques liées à la transparence et à la gestion des fonds. Il explore les dispositions légales qui régissent le CA, les rôles clés des membres, ainsi que l’importance d’une gouvernance rigoureuse pour assurer la conformité aux normes éthiques. Le texte souligne également la nécessité d’une transparence accrue à travers un reporting régulier et des réunions statutaires pour renforcer la confiance des parties prenantes.
Ces derniers mois, le Fonds National d’Éducation (FNE) a été au centre de nombreuses critiques et accusations de malversations administratives et de corruption, émanant de divers secteurs. En réponse à ces allégations circulant sur les réseaux sociaux, le Directeur Général du FNE a tenu une conférence de presse le 16 avril 2024 pour les démentir. Cependant, sur le site web du FNE, on ne retrouve que des images[1] de ladite conférence sans contenus et un dossier de presse[2] sans statistiques d’allocation de fonds aux bénéficiaires publics et/ou privés comme le veut la loi portant création de cette institution publique.
Au-delà de ces accusations d’absence de transparence, il est important de rappeler que le FNE est « un organisme autonome d’une durée illimitée, jouissant de I ‘autonomie administrative et financière, dotée de la personnalité juridique…»[3]. Et, comme toutes les organisations publiques haïtiennes, le FNE, quoique créé en violation de l’article 118[4] du décret portant organisation de l’administration de l’État de 2005, n’étant ni « à caractère administratif » uniquement ni « à caractère financier » uniquement[5], en conformité avec l’article 123 dudit décret, est doté d’un conseil d’administration et d’une Direction Générale.
Cet article porte sur la présentation du conseil d’administration du Fonds National d’Éducation et l’analyse succincte de la portée des articles essentiels consacrés à son fonctionnement.
- Conseil d’administration d’une organisation du secteur public
- Considéré en termes simples, le conseil d’administration (CA) d’une organisation est un organe de direction qui se présente sous la forme d’un rassemblement de personnes physiques ou morales chargées de déterminer les orientations stratégiques de l’organisation et de veiller à son bon fonctionnement. Cette définition est aussi valable pour un CA d’entreprise qu’elle soit privée ou publique.
- Dans cette dernière catégorie, « le conseil d’administration est celui qui détermine les orientations stratégiques. En tant qu’entité décisionnelle, le conseil fait face à des obligations dans la gestion des biens d’intérêt public. La théorie des organisations décrit bien le rôle du conseil d’administration : « organe de gestion et de discipline des dirigeants [… ] un élément indissociable de l’élaboration de la stratégie à suivre par l’entreprise»[6].
- Cependant, les conseils d’administration (CA) du secteur public doivent rendre des comptes en référence aux « politiques établies par le gouvernement central » et respecter rigoureusement les exigences de la loi qui a conduit à leur création. La mise en place d’une loi organique est souvent précédée de nombreuses études. Le gouvernement est soumis à des pressions de divers groupes d’intérêt concernant le mandat de l’organisme. Les membres des CA ont une obligation de se référer « à la loi organique qui détermine, entre autres, la mission, la composition, le fonctionnement et la rémunération du dirigeant. Même s’ils le désiraient, les administrateurs n’ont pas les pouvoirs requis pour changer la structure ». (Guindon, S., 2006).
- Une des configurations recommandées pour le conseil d’administration consiste à séparer les rôles de président du conseil et de directeur général de l’organisation. Cette approche permet d’établir un contre-pouvoir essentiel à une gouvernance saine, en intégrant également des administrateurs indépendants et des comités spécialisés. A ce sujet, Guindon, S. (2006) souligne « la séparation des fonctions de président du conseil et de chef de direction est essentielle pour une plus grande transparence : et assure l’intégrité des membres et permet des débats plus ouverts. Le président anime les rencontres, s’assure que tous ont un droit de parole tandis que le directeur apporte tous les renseignements pertinents et fait les suivis nécessaires. Pour favoriser la prise de décision et permettre des échanges ouverts, le conseil doit obtenir toute l’information nécessaire ».
- Ainsi, il va de soi que toutes les grandes décisions (administratives et financières) impliquent tous les membres du CA incluant le Président et le Directeur General même lorsque ce dernier serait le principal ordonnateur des transactions financières.
- Le Conseil d’administration du Fonds National d’Éducation (FNE)
- En Haïti, les conseils d’administration des entreprises publiques suivent la logique des paragraphes précédents. Ils sont prévus par une loi particulière (organique ou toute autre loi votée en fonction des circonstances particulières) en conformité avec la loi organisant l’administration centrale de l’Etat[7]. Il en est de même de la taille du conseil d’administration, la qualité de ses membres en fonction de leur provenance institutionnelle, sa durée, son organisation et ses modalités de fonctionnement. Le Fonds National d’Éducation n’y échappe pas.
- En effet, l’article 5 de la loi, du 22 septembre 2017, portant création, organisation et fonctionnement du FNE prévoit la séparation du CA et de la Direction Générale. L’article 6 indique les membres qui composent le CA ainsi que leur provenance institutionnelle et l’article 7 identifie les membres possédant le pouvoir décisionnel ultime en ce qui concerne la gestion administrative et financière en relation avec toutes les activités du FNE :
Article 6.- Le Conseil d’Administration est composé de cinq (5) Membres :
- Le Ministre de l’Économie et des Finances ou son Représentant ;
- Le Ministre de !’Education Nationale et de la Formation Professionnelle ou son Représentant ;
- Le Ministre de la Planification et de la Coopération externe ou son Représentant ;
- Le Ministre des Haïtiens vivant à l’Etranger ou son Représentant ;
- Un Représentant du Secteur des Syndicats d’Enseignants.
Article 7.- La Présidence du Conseil d’Administration du FNE est assurée par le Ministre de l’Éducation Nationale et de la Formation Professionnelle et la Vice-Présidence par le Ministre de l’Economie et des Finances.
- En ce qui concerne la gouvernance[8] du FNE, l’analyse de ladite loi fait ressortir un conseil d’administration dont les ministres de l’éducation Nationale et de la Formation Professionnelle et de l’Économie et des Finances détiennent un pouvoir large en matière de prise de décision sur presque l’ensemble des activités de gestion stratégique du FNE.
L’article 10 qui suit identifie, à travers les attributions du conseil d’administration du FNE, le pouvoir étendu de ceux qui détiennent la gouvernance du fonds.
Article 10.- Outre les attributions prévues par l’article 136 du Décret du 17 mai 2005 portant Organisation de l’Administration Centrale de l’Etat, le Conseil d’Administration du FNE a pour attributions de :
- Définir la politique générale et les objectifs stratégiques du FNE ;
- Déterminer les orientations des activités du FNE et veiller à leur mise en œuvre ;
- Superviser les activités du FNE ;
- Se saisir de toute question intéressant la bonne marche du FNE et régler par ses délibérations les affaires les concernant ;
- Adopter les règlements internes du FNE ;
- Approuver sur recommandation du Directeur General, la nomination et la révocation des Cadres Supérieurs du FNE ;
- Adopter des règles et critères relatifs aux conditions d’emploi et de rémunération du personnel du FNE;
- Approuver les plans et programmes d’action ainsi que le budget annuel du FNE, décider des mesures correctives jugées nécessaires dans le cadre des programmes d’action ;
- Approuver les rapports trimestriels sur la situation financière du FNE ;
- Approuver les rapports mensuels sur la gestion du FNE ;
- Approuver les termes de référence du mandat du Vérificateur Externe ainsi que son adjudication ;
- Autoriser l’ouverture de comptes bancaires dans des institution bancaire du pays ou de l’étranger ;
- Approuver la nomination de tout auditeur externe et approuver leur lettre de mi ion et les termes de leur rémunération ;
- Approuver le budget annuel du FNE, au plus tard un (1) mois avant le début de l’exercice auquel il se réfère ;
- Examiner le rapport du Vérificateur Externe, faire le suivi des avis émis par ce dernier et faire publier le rapport d’audit dans les six (6) mois suivant la clôture de l’exercice :
- Informer les acteurs de l’éducation et les partenaires du FNE sur les activités du Fonds et I ‘exécution de ses opérations ;
- Fixer les règles et critères relatifs à la participation des agents économiques publics ou prives au financement des activités dudit Fonds ;
- Recruter chaque année, à la fin de l’exercice fiscal et financier, une firme d’audit externe pour auditer les fonds.
- À l’analyse, les susdites attributions font des responsables du CA de véritables gestionnaires dont les actions se situent au niveau stratégique et dans la ligne hiérarchique de l’organisation au sens de la configuration de Mintzberg (1998) in structure et dynamique des organisations. Ainsi, il est évident que la gestion du fonds exige un immense intérêt à la conformité (Compliance) par rapport aux normes d’éthique et de déontologie ainsi que la lutte contre la fraude. Cet immense intérêt devrait se manifester par l’existence d’un « reporting » permanent de gouvernance : rapport mensuel ou trimestriel du conseil d’administration, le statut annuel de la gouvernance, les rapports d’audit interne et externe, le rapport semestriel de la reddition des comptes et l’examen du rapport qualité-prix. Ceci constitue un exercice fort de transparence vis à vis des parties prenantes et de la société civile.
- Les décisions en ce qui concerne le « reporting » ne peuvent se prendre qu’à travers les réunions statutaires telles que prévus par l’article 11 et, celui-ci devra constituer un élément important des procès-verbaux d’au moins douze (12) réunions annuelles.
Article 11.- Le Conseil d’Administration du FNE se réunit à l’ordinaire au moins une fois par mois aux dates fixées par les règlements intemes et à l’extraordinaire sur convocation de son Président, sur demande du Secrétaire Exécutif ou de la majorité de ses Membres toutes les fois que les circonstances I’ exigent, conformément à I’ article 140 du Décret du 17 mai 2005 portant organisation de l’Administration Centrale de l’État.
Les convocations aux réunions sont adressées aux Membres dudit Conseil quarante-huit (48) heures avant Ia date fixée. Elles contiendront I ‘ordre du jour ainsi que toutes informations pertinentes.
Une de ces réunions est consacrée à l’examen du budget de l’exercice suivant et une autre à l’examen des états financiers de l’exercice précédent.
- Enfin, compte tenu de l’importance de la société haïtienne en général et du monde éducatif en particulier dans le financement du FNE[9], sachant que la difficulté de gestion des fonds publics réside dans ce que « le statut d’actionnaire de l’Etat est caractérisé par un laxisme, favorisant le développement de comportements opportunistes de leurs dirigeants »[10] et « dans le but de promouvoir des échanges à travers le dialogue et la concertation avec les opérateurs et les acteurs évoluant dans les domaines de l’enseignement et de l’éducation en vue d’assurer leur participation au processus décisionnel relatif aux activités du Fonds National de l‘Éducation (FNE), le législateur a cru bon de créer un Conseil Consultatif auprès du Ministre de l’Education Nationale et de la Formation Professionnelle pour permettre l’efficacité des échanges »[11]. Sa composition[12] est révélatrice de cette volonté de transparence dans la gestion du FNE et sa mission réside non seulement dans sa fonction de conseil aviseur sur « la nature des interventions du fonds, mais aussi sur I’ établissement des critères de financement de projets et d’activités d’éducation par ce fonds »[13].
De ce qui précède, il appert que toutes les dépenses du Fonds National d’éducation (FNE), en dehors, peut être des dépenses courantes de fonctionnement, doivent faire l’objet de négociations suivies de décisions arrêtées et certifiées, dans des procès-verbaux, par la majorité des membres de son conseil d’administration. Dans le cas contraire, elles peuvent être considérées comme nulles et non avenues.
Le prochain article portera sur la Direction Générale du Fonds National d’Éducation : ses attributions et ses limites légales de fonctionnement.
Georges Bernardin
14 Aout 2024
[1] https://fne.gouv.ht/album/point-de-presse/
[2] https://fne.gouv.ht/intervention-du-directeur-general-lors-du-point-de-presse-du-16-avril-2024/
[3] Article 1. LOI PORTANT CREATION ORGANISATION ET FONCTIONNEMENT DU FONDS NATIONAL DE L’EDUCATION (FNE)
[4] Article 118 : Les Organismes Autonomes sont regroupés en deux catégories :
- Les Organismes Autonomes à caractère administratif, culturel ou scientifiques chargés d’une activité classique de Service Public, de toutes autres missions spécifiques compatibles avec les missions de l’État.
- Les Organismes Autonomes à caractère financier, commercial et industriel qui, en fonction de la nature de leurs activités, peuvent être des entreprises publiques ou des entreprises mixtes.
[5] Cette anomalie ne revient pas forcément aux membres de la 50e législature. Elle est la faute exclusive des spécialistes en légistique de l’administration du parlement.
[6] Charreaux, Gérard (éd.), « Conseil d’administration et pouvoirs d’influence », In Le gouvernement des entreprises : corporate governance, théories et faits, Paris : Economica, 1997, p. 143.
[7] Décret-loi portant organisation de l’administration centrale de l’État (2005).
[8] La gouvernance ici est définie « comme l’ensemble des mécanismes organisationnels qui gouvernent la conduite des dirigeants et définissent leur espace discrétionnaire » (Charreaux, 1997),
[9] Articles 24 et 25 de la loi portant création, organisation et fonctionnement du Fonds National d’Éducation publiée le 22 septembre 2017
[10] André Marie MBILI ONANA (2022) in « Les déterminants de l’efficacité du conseil d’administration dans les entreprises publiques camerounaises »
[11] Article 14 de la loi portant création, organisation et fonctionnement du Fonds National d’Éducation publiée le 22 septembre 2017.
[12] Article 15.- Le Conseil Consultatif est forme d’: Un Représentant de l’Organisation des Parents des Elèves; Un Représentant du Secteur des Droits Humains ; Un Représentant du Forum Economique; Un Représentant des Organisations du Secteur Prive de l’Education ; Un Représentant du Conseil des Recteurs d’Universités.
[13] Article 16 de la loi portant création, organisation et fonctionnement du Fonds National d’Éducation publiée le 22 septembre 2017.