Les Commissions municipales d’éducation :  éclaircie légale et ancrage institutionnel

INTRODUCTION

Une analyse du Plan Décennal d’Éducation et de Formation (PDEF) 2020-2030 fait apparaitre clairement l’absence des commissions municipale d’éducation (CME) comme institution de régulation systémique au niveau opérationnel. Lors de l’élaboration de ce plan, les Commissions Municipales d’Éducation (CME) ne semblaient retenir l’attention des décideurs nationaux et internationaux. Comme nous l’avions signalé en 2017, l’agitation autour de l’implantation des CME  était intéressante d’autant plus que les mobiles sous-jacents semblaient  cacher des agendas particuliers. Et, de fait, un concept aussi fondateur du système éducatif haïtien ne figure même pas dans l’agenda du Ministère de l’Éducation Nationale et de la Formation professionnelle (MENFP) à l’horizon de 2030 alors qu’il figurait dans le plan opérationnel 2010-2015 (officialisé en 2012).

Face à ce vide, on se questionne sur les vrais mobiles des  organisations de la société civile et d’anciens décideurs de l’éducation qui   se positionnaient publiquement dans l’écosystème éducatif et  des partenaires techniques et financiers qui avaient peaufiné  des schémas expérimentaux d’introduction des CME. En effet, la Commission haïtienne ad hoc de plaidoyer en faveur de l’ODD4 composée des organisations suivantes CARE-Haïti, GIL/LD, REPT et PROCEDH[1]  avait organisé, le 30 juin 2017, un premier atelier de travail autour du thème : “le rôle des collectivités territoriales dans le renforcement de la gouvernance du système éducatif haïtien”. Le journal Le Nouvelliste dans  son édition du 5 juillet 2017 consacrait un article à un « plaidoyer pour les commissions municipales d’éducation en Haïti » en faisant de l’Office National du Partenariat en Éducation (ONAPE) le réceptacle privilégié de la mise en place des CME. Dans l’édition du 13 juillet 2017, Le National consacrait un article intitulé : « Genèse de la décentralisation de l’éducation » en analysant la CME au-delà du champ strict de l’éducation, mais dans une perspective plus large qu’est la décentralisation prônée par la constitution de 1987 ou celle de 1987 amendée .

Le présent article vise à relancer le dossier de la mise en œuvre des CME comme prescrit constitutionnel de gestion du système éducatif haïtien. Il veut aussi apporter une contribution en termes de clarification autour de certaines postures théoriques et épistémologiques, dans le cas où le MENFP aurait voulu faire des CME une institution de la décentralisation en termes de gouvernance au niveau opérationnel.

  1. Une définition de la CME

La Commission Municipale d’Éducation (CME) vient en réponse à différents problèmes constatés dans le système éducatif haïtien. C’est une des entités établies au niveau communal dans le but d’assurer la planification et le suivi de l’éducation. Le Plan Opérationnel du Ministère de l’Education Nationale et de la Formation Professionnelle en précise les objectifs : « Au niveau local, dans une double perspective de décentraliser des services éducatifs et d’associer les collectivités territoriales à la gestion de l’école fondamentale, le Ministère à travers les DDE prendra les dispositions opportunes pour la création et la mise en place, dans chaque commune, d’une Commission Municipale d’Éducation (CME) »

Il ressort donc que la CME est créée pour décentraliser les services éducatifs d’une part et d’associer les collectivités territoriales à la gestion de l’école fondamentale d’autre part. Cette double perspective est la base de la complexité de cette structure.

  1. Mise en garde

Il faudra se rappeler que les dispositifs organisationnels étendus et complexes finissent toujours par créer des pesanteurs qui vont à l’encontre des objectifs admis par tous : générant ainsi du gaspillage, de l’inefficacité et des blocages systémiques. Dans le secteur de l’éducation, une administration déconcentrée assure certes une présence sur l’étendue du territoire, mais le cantonnement de la structure au strict secteur de l’éducation, comme le sous-entend le PO, vient créer de nouvelles barrières. Du point de vue du PO, la CME opère sous la responsabilité et la supervision des Directions Départementales, elles ne font qu’associer les collectivités territoriales à la gestion de l’école fondamentale.  Or Cette disposition jette les bases d’une véritable décentralisation de l’Éducation puisque la responsabilité de l’entretien des bâtiments scolaires, du recensement des enfants en âge d’aller à l’école ; le suivi de la mise en application de la gratuité sont dévolus à la CME.  Chacune de ces entrées a des conséquences au plan de l’efficacité administrative, de la gestion des moyens financiers et même de la dimension de l’apprentissage.

3.     Décentralisation et CME : considérations sur le cadre légal

La Constitution de 1987 aux articles 32 et suivants stipule que la responsabilité de l’enseignement fondamental, secondaire ainsi que l’enseignement agricole professionnel et technique sont à la charge de l’Etat et des collectivités territoriales. Cependant, il importe de souligner immédiatement que ces articles ne se contentent pas de responsabiliser les collectivités mais précisent le contenu de leurs actions spécifiques en éducation telles que la formation des enseignants de secteur public et privé, la mise à disposition des fournitures classiques et du matériel didactique.

Un regard particulier sur l’article 32.7 est révélateur. Il est dit ce qui suit :

« L’État doit veiller à ce que chaque collectivité territoriale, section communale, commune, département soit doté d’établissements d’enseignement indispensables, adaptés aux besoins de son développement, sans toutefois porter préjudice à la priorité de l’enseignement agricole, professionnel, coopératif et technique qui doit être largement diffusé. »

Cet article précise que les établissements d’enseignement indispensables doivent être adaptés au développement de la collectivité. Le constituant a mis que c’est l’Etat qui doit y veiller. Cependant, dans la logique de la décentralisation, cet article peut être compris dans le sens que l’Etat représenté par les collectivités veille à ce que les collectivités soient dotées de ces établissements qui conviennent à son développement. Dans cette lignée, cet article sous-tend que les collectivités ont une responsabilité avérée dans la gestion de leur communauté et que ces dernières seront les porteuses de leur projet de développement qui comptera forcément des politiques communautaires spécifiques en matière d’éducation.

Dans le scénario selon lequel le constituant aurait envisagé l’Etat comme le symbole de l’autorité centrale –ce qui semble plausible vu que dans la lignée des articles 32 à 34 la précaution est prise de dire « l’Etat et les collectivités territoriales » tandis que dans cet article en particulier, il est mentionné uniquement  «l’Etat » –  la partie de l’article stipulant que les écoles devront être adaptées au développement de la collectivité suggère une prise en compte de la collectivité (fut-ce son opinion ou ses aspirations) . Dans un cas comme dans l’autre, le processus conduisant à la dotation de la collectivité d’un établissement dépendra du type de décentralisation choisie à savoir, la déconcentration, la délégation ou la dévolution.

Le « Décret Portant Cadre Général de la Décentralisation, Organisation et Fonctionnement des Collectivités Territoriales Haïtiennes » en date du 1er Février 2006 stipule au l’Article 2 du Chapitre 1 intitulé « Principes de base de la Décentralisation » du Livre I ce qui suit :

« La décentralisation consacre le droit des Collectivités territoriales à s’administrer de manière autonome et à gérer leurs affaires propres afin de promouvoir le développement à la base, de favoriser la participation à travers la gouvernance locale. Elle implique soit le transfert vers les Collectivités territoriales de compétences antérieurement exercées par le pouvoir central, soit l’attribution à ces collectivités de compétences non exercées par aucune autre entité publique. »

Plus loin dans l’article 4, il est dit ce qui suit :

« La décentralisation doit être accompagnée d’une déconcentration adéquate des services de l’État dans le but de renforcer les capacités d’action des Collectivités territoriales.

L’appui des services déconcentrés du pouvoir central aux Collectivités territoriales a pour objectifs :

1- d’aider à la conception et à la mise en œuvre des plans locaux de développement ;

2- d’informer les acteurs locaux sur les normes en vigueur ainsi que les moyens techniques et financiers disponibles ;

3- de permettre une meilleure harmonisation des différents plans de développement des Collectivités territoriales et leur cohérence avec le plan national de développement économique et social ;

4- de favoriser la constitution et la conservation des banques de données nécessaires à toute planification ;

5- d’informer l’administration centrale des priorités définies par les collectivités aux fins de leur prise en compte dans l’élaboration du budget national et l’allocation des transferts et subventions. »

Les articles suscités semblent définir un type de décentralisation s’accompagnant de la déconcentration des services. De plus, l’article 4 délimite le contenu de la mission des collectivités qui collaborent avec l’Etat central sur l’élaboration des plans de développement. En revanche, elles ne bénéficient d’aucun pouvoir de décision sur les questions financières et tout autre aspect pouvant favoriser leur autonomie et l’appropriation des plans de développement. Leur rôle se résume à l’information et la garantie d’harmonisation avec les plans et programmes nationaux.

Du point de vue du cadre légal donc, la CME est un concept dont la mise en œuvre dépend primordialement des dispositions légales en matière de décentralisation et des moyens mis à la disposition des collectivités afin d’accomplir leur mission telle que définie par la loi. Cependant, la CME dans sa conception et la délimitation de ses attributions est plus qu’une simple entité représentant le Ministère de l’Education Nationale et de la Formation Professionnelle dans la commune.  Ultimement, c’est un outil important dans le développement communal. De ce fait, l’efficacité de la CME doit être contemplée dans l’univers plus grand de l’Administration Publique. D’ailleurs, les articles 4 des fonctions de la section communale et 4 des fonctions de la commune, le premier traitant de la participation à la commission éducative de développement de la Section Communale et le deuxième traitant de la participation à l’exécution du Plan National de l’Education, assoient cette approche.

4.     Réceptacle institutionnel coté éducation : ni DAEPP ni ONAPE

De ce qui précède, les CME, pour leur institutionnalisation, participent d’un double mouvement ministériel : le MENFP et le MICT[2]. Le MENFP en ce qui concerne la cogestion de l’éducation imposée par la constitution. Le MICT en ce qui concerne la décentralisation des collectivités territoriales. Ce double mouvement devrait permettre la participation de tous les acteurs au niveau opérationnel. Il est évident qu’aucune instance, à elle seule, de l’un de ces deux ministères ne peut prétendre à la gestion stratégique des CME.

En effet, du côté du MENFP, la Direction d’Appui à l’Enseignement Privé et au Partenariat (DAEPP) a pour mission principale d’apporter un appui aux écoles du secteur privé de l’’éducation, tout en jouant un rôle actif dans la mise en place de la gestion de proximité. Elle joue un rôle central dans l’attribution des licences aux écoles non publiques : elle est aussi chargée de délivrer les attestations aux fondateurs et directeurs d’école. Elle intervient pour faire respecter les obligations issues du décret-loi de septembre 1974 régissant l’ouverture et le fonctionnement desdites écoles. La livraison de toute licence est donc soumise à son contrôle et à son acceptation.

Quant à l’ONAPE, l’article 4 de la loi publiée le 19 novembre 2007 portant sur sa création est clair : « l’ONAPE est à la foi un espace de concertation et d’échanges entre le MENFP et els partenaires non publics du secteur éducatif haïtien, et un organe de gestion du partenariat public, non – public en éducation. Il a pour mission essentielle de favoriser la participation réelle du secteur non public à l’élaboration et la mise en œuvre des politiques et programmes de développement de l’éducation en Haïti. ». Plus loin, l’article 5, alinéa (a) précise sa première attribution : « participer à l’élaboration de la politique et à la définition des objectifs du MENFP en matière de partenariat entre les secteurs publics et non-publics ».

Les missions confiées par la loi à ces deux directions du MENFP n’ont rien à voir directement avec le fonctionnement des CME. Il est évident que la DAEPP dans ses attributions de mise en place des modalités de gestion de proximité pourra faire appel aux CME via les Services d’Appui à l’Enseignement Privé et du Partenariat (SAEPP), mais pas en position hiérarchique. Il en est de même pour l’ONAPE dont mission et attributions l’éloignent nettement des CME.

Introduire les CME devrait obéir à un principe de subsidiarité (l’action au niveau le plus pertinent le plus proche des citoyens) entre État central et Collectivités Territoriales. Ce principe permettrait de déterminer les compétences exclusives de l’État Central exercées via le MICT ou le MENFP, les compétences partagées entre les Municipalités et l’État central et enfin les compétences relevant des Municipalités. Une fois déterminées, une autre question d’importance se pose à savoir la compensation des situations financières et fiscales des communes. La commune de Pétion-Ville et celle de Tabarre ont-elles les mêmes capacités contributives que celles de Fond Parisien ou de Mombin Crochu ?  Quelle formule de péréquation trouver afin de garantir à tous les enfants haïtiens une égalité des chances en matière éducative en tout point du territoire ? Cette question est au cœur de toute action de décentralisation et nous indique que le Ministère de l’Économie et des Finances (MEF) doit également faire partie du dispositif de construction des CME.

Conclusion

Le système éducatif haïtien, dans son état actuel de fonctionnement est très centralisé. Cette centralisation crée des pesanteurs que les CME peuvent atténuer sinon éliminer. Entendons par pesanteur le fait que le centre en raison de sa distance par rapport aux différents noyaux locaux n’est pas capable de capter les variations dans les éléments du système. Or, ces variations seraient plus rapidement reçues si la vitesse de circulation de l’information n’était pas entravée par la centralisation des services d’éducation. Intégrer les structures centralisées de la gestion stratégique du MENFP en position hiérarchique par rapport aux CME ne ferait qu’augmenter la complexité d’une structure déjà surchargée en terme managérial. Par exemple, pour ceux qui n’en auraient pas conscience, les maires jouent déjà un rôle dans la gestion des rythmes scolaires dans leur commune. Les arrêtés communaux qui prévoient la fermeture des classes à l’occasion des fêtes patronales en sont une toute petite preuve.  La mise en place des CME ne saurait être l’objet d’un effet de mode à relents superficiels et simplistes. La promulgation d’une loi  ne suffira pas.  Il s’agira de trouver la meilleure formule organisationnelle, à portée durable, acceptable par tous les acteurs stratégiques et opérationnels, qui devra intégrer le MICT, le MEF et le MENFP dans une perspective de flexibilité dans les prises de décision tout en respectant la vigueur communautaire des CME.

Roller SAINT PIERRE

[1] Groupe d’intervention en développement local et durable (GIL/LD) ; le Regroupement Éducation Pour tous et toute (REPT) ; Programme collectif pour l’éducation et du dialogue social en Haïti (PROCEDH).

[2] Ministère de l’Intérieur et des Collectivités Territoriales

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