Pour une harmonisation des entrées curriculaires en Haiti

POUR UNE HARMONISATION DES ENTRÉES CURRICULAIRES EN HAITI.

  1. Bref historique

L’accès à une éducation de qualité pour tous est un défi de taille pour Haïti, qui tarde encore à franchir le pas décisif vers son développement socio-économique. En effet, pour aider le pays à se moderniser à l’ère du troisième millénaire, il est impératif d’une part, que l’Ecole haïtienne parvienne à accomplir sa mission qui est de contribuer à transmettre aux jeunes  des valeurs proprement républicaines (capables de les transformer en citoyens ouverts, critiques, vigilants, participatifs, conscients de leurs droits et respectueux de leurs devoirs et responsabilités) ; et d’autre part, que le  Ministère de l’Education Nationale et de la Formation Professionnelle (MENFP)  soit doté  de moyens permettant de réguler le système éducatif haïtien.  Parmi ces moyens, il est important de souligner la mise en œuvre d’un ensemble curriculaire stabilisé et cohérent afin de permettre aux acteurs publics et non publics du système de disposer des éléments nécessaires pour orienter et mettre en œuvre leurs actions éducatives.

 En 1995, le MENFP a réalisé des études diagnostiques du système éducatif soulignant des préoccupations curriculaires. En effet, le diagnostic technique du système éducatif réalisé, en 1995, par Research Triangle Institute (RTI) & Educat S.A n’avait fait aucune recommandation sur une révision curriculaire à proprement parler. Le rapport rapportait tout simplement un flou dans la mise en application de la réforme éducative ainsi :  « la confusion autour de l’Ecole Fondamentale, tantôt perçue comme unité administrative ou comme structure pédagogique, est encore très grande ; les messages contradictoires envoyés par le ministère quant à la durée de chaque cycle, le manque de clarté dans les objectifs assignés aux filières préprofessionnelles et professionnelles augmentent le malaise et retardent le consensus sur une vision commune et partagée par les acteurs ».  

  Cependant, douze ans plus tard, en 2007, le document de Stratégie Nationale d’Éducation Pour Tous (SNAEPT) prévoyait des actions en direction du curriculum. Il s’agissait de compléter le 3e cycle fondamental par l’élaboration du programme de l’ITAP et la mise en place du 3e cycle technique et professionnel et de réfléchir sur l’expérimentation du secondaire rénové. Et, en septembre 2007, le MENFP a débuté l’expérimentation du secondaire rénové sans tenir compte de la réorientation philosophique et curriculaire du 3e cycle fondamental.

 Enfin, ces préoccupations curriculaires sont devenues plus insistantes avec le rapport Présidentiel du Groupe Technique de D’Education et de Formation (GTEF) dont a découlé le Plan opérationnel 2010-2015, communément appelé le PO. Le diagnostic du GTEF est très clair et reflète la réalité en 2019. En effet, d’après la page 89 dudit rapport :

« L’école fondamentale de 9 ans n’a jamais été mise en place effectivement et de façon systématique.……..Ainsi, on trouve dans le paysage scolaire haïtien : un nombre très limité d’écoles fondamentales qui fonctionnent avec un 3e cycle, l’ensemble des collèges et lycées qui continuent avec leurs anciennes pratiques et un nombre restreint d’entre eux qui prétendent s’engager dans la voie du nouveau secondaire. En termes curriculaires, le même désordre que l’on observe au niveau de l’organisation de l’enseignement secondaire se répercute également au niveau des programmes d’études. Les programmes d’études qui sont en application dans les salles de classe au niveau du 3e cycle (7e  , 8e  et 9e  année) dans les écoles dites fondamentales sont en fait les mêmes que ceux retrouvés au niveau de celles de 6e , 5e et 4e (classes équivalentes) dans les lycées et les collèges. Pour les classes dites de nouveau secondaire, les programmes cadres pour les différentes filières ont été élaborés, mais les contenus qui doivent permettre aux enseignants d’établir leurs plans de cours ne sont pas encore élaborés. De plus, les ressources pédagogiques et didactiques notamment les manuels scolaires et les polycopiés préparés par les enseignants pour l’enseignement et l’apprentissage des différentes disciplines sont ceux dont on fait usage depuis de nombreuses années dans les collèges et les lycées. D’ailleurs, leur pertinence et leur qualité n’ont été soumises à aucun processus régulier d’évaluation ni d’homologation systématique ».

Le MENFP est en train d’opérer la réforme curriculaire pour le 3è cycle de l’enseignement fondamental et secondaire dans le secteur éducatif haïtien en se basant sur des déficits déclarés d’un curriculum dont les orientations remontent à 1982 et qui a subi des transformations structurelles et philosophiques en 1989 (3e cycle)[1] et en 2015 (secondaire)[2]. Dans le cahier des charges de cette opération, il est question de proposer une planification stratégique basée sur l’établissement de diagnostics qui amèneraient les acteurs à évaluer et à revoir, le cas échéant, leurs plans ; à assurer une meilleure coordination entre les interventions des partenaires ; et intégrer les initiatives dans le cadre d’un plan consensuel et efficace de mise en œuvre du curriculum. De plus, cette initiative « vise également de manière transversale le renforcement des capacités du MENFP dans la gestion de projet, le pilotage des actions destinées à améliorer la qualité et la gouvernance de l’enseignement fondamental et secondaire. Il s’agit notamment du pilotage du déploiement des écoles fondamentales à cycle complet (décantation[3]), de la communication autour de la réforme engagée ou encore de l’adaptation des dispositifs de formation continue. Un objectif spécifique concerne le pilotage de la qualité des manuels scolaires par l’amélioration des processus d’homologation et de subventionnement ».

L’exécution de ce cahier des charges est confiée à un consortium franco-haïtien[4] sous la supervision de la coordination générale du pole enseignement et qualité (CGPEQ) via le projet NECTAR[5] financé par l’Agence Française de Développement (AFD). Parmi les activités, le consortium, entre autres, a accompagné le Ministère dans l’élaboration d’un cadre d’orientation curriculaire (COC)[6] et des nouveaux programmes du 3e cycle ; élaboré des séquences pédagogiques, des guides pédagogiques pour la formation des enseignants, directeurs et cadres pédagogiques, des modules de formation, analysé les nouveaux programmes du secondaire, etc.

Il est à souligner que le COC a fait le choix d’une approche par compétences pour l’ensemble du système éducatif haïtien qui induit une triple rupture : changement de conception des programmes, changement de posture de l’enseignant et changement des modalités d’’évaluation (COC, 2021, P. 15).

Mais force est de constater qu’on est en présence d’un système éducatif qui tout au long de son parcours a adopté des philosophies et approches curriculaires différentes sans penser à leur ajustement ou harmonisation. Le constat est celui –ci : le curriculum du préscolaire a adopté une entrée par les standards et est au stade d’expérimentation depuis décembre 2017.  Le curriculum de l’école fondamentale est élaboré selon la pédagogie par objectifs (PPO). Si le curriculum des deux premiers cycles respecte les principes d’une entrée par les objectifs. Cependant, celui du troisième cycle reste conservateur « by design » compte tenu du fait que ce sont les contenus qui dirigent les objectifs. Autrement dit, les élaborateurs de 1993 avaient choisi, pour son acceptation par les usagers (directeurs d’écoles, enseignants et éditeurs), en absence d’un programme systématique de formation des utilisateurs, d’utiliser les contenus (traditionnels) existant et dériver les objectifs pédagogiques. Le programme du secondaire traditionnel, en application depuis 2019, conserve encore son entrée par les contenus sans objectifs pédagogiques. Enfin, le programme du secondaire rénové, appelé abusivement « nouveau secondaire », adopte l’entrée par les compétences en faisant de l’approche par compétences (APC) son mode d’organisation curriculaire visant ainsi à rendre les apprentissages plus concrets et plus opérationnels et orientés vers l’insertion dans la société et dans la vie de tous les jours.

De ce qui précède, en élaborant les programmes du 3e cycle selon l’approche par compétences, le MENFP vient de créer une sorte de confusion dans l’alignement des entrées curriculaires de l’école fondamentale.


[1] En effet, le curriculum du 3e cycle avait une durée de 4 ans pour une école fondamentale de 10 ans. De plus, non seulement le 3e cycle technique et professionnel n’est pas mis en place et sa durée réduite à 3 ans, mais aussi les disciplines telles : éducation esthétique et artistique (EEA), éducation physique et sportive (EPS) et l’initiation aux technologies et aux activités productives (ITAP) ont disparu dans les faits au 3e cycle d’enseignement général.

[2] Le premier curriculum du nouveau secondaire général a été mis en expérimentation en 2007. Cette dernière a été évaluée en avril 2015. Et, le MENFP, sans tenir des recommandations de l’évaluation, a généralisé le curriculum, en septembre 2015, avec un remaniement du plan d’études. Ce dernier a, entre autres, diminué le nombre d’heures d’enseignement par discipline, par série et par semaine. De plus, l’absence de formation des enseignants en vue de l’application généralisée du curriculum est connue dans le milieu. Ce qui a eu pour conséquences l’existence, en 2019, d’un ensemble d’écoles secondaires qui n’appliquent pas le nouveau programme et que les examens nationaux portent aussi sur le programme traditionnel du secondaire. De fait, un ensemble d’écoles secondaires n’ont pas appliqué le programme du secondaire rénové.

[3] La « décantation » fait référence aux perspectives de transfert progressif des années 7, 8 et 9 des établissements secondaires vers les anciennes écoles primaires pour en faire des « écoles fondamentales à cycles complets ».

[4] Ce consortium est composé de deux firmes françaises : France Education International (FEI) et CANOPE et une firme haïtienne Institut Haïtien de Formation Sciences de l’Éducation (IHFOSED).

[5] NECTAR : Nouvelle Education Citoyenne et tournée vers l’Avenir

[6] Le Cadre d’Orientation Curriculaire est un document qui rassemble et synthétise les grandes orientations du système éducatif, qui en reflète les besoins, les attentes et les valeurs spécifiques. Il sera le texte de référence à partir duquel seront définies les intentions, les stratégies et les mises en œuvre de la nouvelle étape de cette réforme.

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